Le Dragon
Le Dragon

Spectacle de la Cie A Tout Va! (93), vu à Avignon Off 2016, Théâtre de l’Oulle, le 11/07, 11h40

Texte original d’Evguéni Schwartz (1944), Ed. Lansman, 2003, chansons de Yanowski

Avec ce jour-là: Estelle Breton, Guillaume Charbuy, Pierre Devanne, Mélanie Le Duc, Mélanie Surian

Musiciens: Eric Allard (accordéon et création musique), Balthazar Naturel (saxo soprano)

Mise en scène: Stéphane Debruyne / Scénographie: Suzanne Barbaud

Genre: Théâtre, farce satirique

Public: tous dès 7 ans

Durée: 1h35

Jauge: dépendante de l'ouverture de plateau min. 8 m

Création: 2016 (se joue aussi en extérieur)

Salle 194 pl.

Dans une petite ville, un dragon à trois têtes tyrannise la population et exige en plus chaque année le sacrifice d'une "jeune pucelle". Arrive Lancelot, beau héros justicier de métier, mais comiquement naïf, qui décide de tuer ce monstre. Contre toute attente, les habitants le rejettent, car ils s'accommodent lâchement de cette oppression sanguinaire, allant jusqu'à chanter les louanges de leur maître/bourreau : il les protège des dangers de la liberté. S'ensuit une intrigue pleine de rebondissements et d'enseignements sur la tyrannie et la soumission. L'interprétation originale de la compagnie respecte l'esprit de l'auteur dans un genre difficile car inclassable. Dans un jeu jubilatoire et revêtus de demi-masques, les comédiens tiennent l'équilibre à la croisée du merveilleux et du grotesque, du tragique et du comique. Accompagnés en live par accordéon et saxo, avec une scénographie bien pensée, des décors et des costumes intéressants, ils sont secondés par une marionnette pleine de lucidité ! Une réussite que le public a ovationnée.

La pièce fut interdite après sa première représentation, sous Staline. En effet, si E.Schwartz, russe, a écrit à destination des enfants, c'est en ménageant une seconde lecture pour les adultes. La compagnie "A Tout va!" réussit à emporter avec elle les deux publics. Très visuel, avec pantomimes et gestuelle précise, éclairages aux ambiances fortes, fumées, appuis sonores, c'est un spectacle bien rythmé et attractif qui sollicite souvent la participation du public. Les plus jeunes peuvent suivre. Les personnages sont typés et parfois caricaturaux. Mais, est-ce le texte, le jeu, les deux? L'ensemble reste nuancé et évite le manichéisme. Bassesses, vilenies, trahisons, tout est bon pour les habitants qui, dans un consensus vide de pensée, laissent place libre au Dragon. Quant aux petits chefs, administrateurs et politiques, ils se ménagent de piètres pouvoirs sur la voie risquée de la collaboration... Lancelot le sauveur n'est pas à l'abri de la causticité de l'auteur: naïf et parfois ridicule, il fonce sur les obstacles, avec de bons effets comiques ! Seule, Elsa, la pucelle promise au Dragon pour ce soir, résignée puis de moins en moins soumise, réveille discrètement une flamme de liberté. Le spectacle navigue ainsi dans le tragi-comique, au sein des contradictions humaines dont les répercussions dramatiques parsèment l'Histoire. Lorsque, grâce à la mobilité du décor, la foule (à cinq, ils font parfaitement foule!) surgit sur la place du village et chante en chœur les textes de Yanowski, ce sont de beaux moments où s'incarne la soi-disant spontanéité des enthousiasmes embrigadés. Les demi-masques donnent une dimension intemporelle aux personnages et le dragon se matérialise devant nous sous plusieurs formes, habile image des déguisements insidieux de la tyrannie. Un mot enfin sur l’art avec lequel les comédiens incarnent à eux cinq 19 personnages, chaque fois aussi convaincants. Saluons également la qualité des costumes.

Tout concourt à la qualité de ce spectacle, très contrasté, inquiétant et drôle, et dont la dureté du propos est hélas toujours d'actualité. Merci aux artistes de savoir nous divertir en nous faisant réfléchir aux conséquences de nos actes. On pense au "Discours de la Servitude volontaire" et les enseignants apprécieront. Les jeunes spectateurs ont beaucoup ri, participé et ils ont bien reçu le message (d'après les conversations saisies au vol). Très accessible, ce "Dragon" peut être proposé à tous les publics, y compris ceux qui prennent rarement le chemin du théâtre, et s'adapte à une grande variété de lieux d'accueil.

Catherine Polge

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