Présent sur le Off d'Avignon 2019
Un spectacle produit par la Compagnie les Filles de Simone (93 Bagnolet) vu le 2 février 2019 au Théâtre du Rond-Point (Paris VIII°)
Mise en scène : collective
Comédiens : Thiphaine Gentillau, Cécile Guérin, Claire Méchin, Chloé Olivères, Géraldine Roguez
Genre : théâtre
Public : adulte
Durée : 1H30.
Il y a quatre ans, je découvrais avec ravissement la compagnie « les filles de Simone » et leur mémorable « c’est (un peu) compliqué d’être à l’origine du monde ». C’est donc avec enthousiasme que je suis allée, avec ma cadette, découvrir leur nouvel opus « les secrets d’un gainage efficace » : nous n’avons pas été déçues !
« Les secrets d’un gainage efficace » s’inscrit dans la continuité du précédent spectacle: un féminisme militant transmis par le prisme d’un humour décapant. Les spectateurs sont invités à suivre les réunions du groupe « corps » qui se donne pour objectif la rédaction d’un livre sur le corps des femmes et la sexualité féminine vus par les principales intéressées ; le dernier opus du genre, « notre corps, nous-mêmes » datant de 1977. En fait de livre, ce sera donc le spectacle ; les différents tableaux opérant comme autant de chapitres. Tout y passe, sans tabou ni vulgarité : les complexes comme construction patriarcale ou commerciale, le mythe de la rupture de l’hymen, le vagin, le clitoris, les poils, les règles, le cunnilingus, la femme dans l’espace public mais aussi le viol et la transmission (difficile) mère/fille.
Pour aborder ces sujets qui restent délicats (un comble, précisément !), le spectacle déborde de prouesses. Pour commencer, la scénographie est réduite à sa plus simple expression : une table de réunion, un tableau noir et un panneau d’affichage qui fait office, à l’occasion, de paravent pour se changer. Pour compenser cette économie de moyens, c’est parfois toute la salle qui sert d’espace de jeu, les spectateurs étant alors les membres de l’association qui assistent tantôt à une AG, tantôt à une conférence. La lumière, chaude et franche, unit l’ensemble. Pour ouvrir encore l’espace, les comédiennes font appel à l’imaginaire. Nous sommes ainsi conviées à la désopilante mais fort instructive visite muséale du vagin.
Pour que le message passe, il faut un texte à la hauteur. Outre les bons mots intrinsèques de la pièce – à la nouvelle venue dans l’asso, les copines lancent au sujet de la structure un rassurant « bon, ce ne sera pas la confrérie des mamelles »- le texte est extrêmement sourcé. Ainsi, sous le couvert d’une interviewe, nous prenons connaissance des travaux d’Anne Cholet sur la place (confisquée) de la femme dans l’espace public. Ce décryptage de nos us et coutumes se poursuit par la déconstruction systématique de la pensée patriarcale. Les conciliabules entre Freud, un père d’Eglise et Sartre, à hurler de rire, n’en sont pas moins référencés.
Pour emporter l’adhésion, il y a enfin le jeu époustouflant des 5 comédiennes dans une mise en scène toute en ruptures de rythmes et en décalages. Thiphaine Gentilleau et Chloé Olivères étaient déjà de la partie dans la précédente pièce ainsi que Claire Frétel, alors metteur en scène. On les retrouve ici accompagnées des non moins excellentes Cécile Guérin et Géraldine Roguez. Elles ont l’énergie débordante et l’audace de leurs propos. Ainsi, lorsque la cellulite est démasquée comme procédé patriarcal de contrôle, elles entonnent en cœur la danse de la cellulite : qui tortille son sein, qui trémousse des fesses, qui fait frétiller son ventre ! Il faut aussi oser porter des postiches de poils d’aisselle bien noirs pendant l’interviewe d’Anne Cholet. L’attention du public se volatilise vers l’horrible attribut ! Elles n’hésitent pas non plus à chanter, un peu comme sous la douche, des tubs détournés. « Il jouait du piano debout » devient un hymne au clitoris, droit, long de 11 centimètres et qui n’a rien à envier au pénis. Cette parole heureusement décomplexée sait aussi se faire grave ; les discussions sur la sexualité féminine pouvant faire ressurgir des traumatismes. Ces moments de confidences sont d’une rare intensité émotionnelle. Dans ce registre, le récit d’un épisode boulimique, qu’une fille dédie à sa mère, est poignant.
« Les secrets d’un gainage efficace » est un spectacle d’une grande intelligence. Sous le couvert du rire, il dit la persistance d’une société patriarcale dont les diktats atteignent le coeur même de l'intimité des femmes. C’est un spectacle qui devrait être vu par tous les lycéens : ma cadette me confirme en effet que les bouquins de SVT persistent à représenter l’appareil génital masculin in extenso alors que celui des femmes est réduit à sa plus simple expression, une béance sans même un clito. En attendant, la salle, plutôt âgée mais mixte, était en délire, à commencer par notre voisine de rang, Anne Hidalgo en personne!
Catherine Wolff