L'art du rire
23 juin 2015Spectacle de Jos Houben et de la Compagnie Rima, coréalisation Théâtre du Rond-Point (75), avec le soutien de la SACD, vu au Théâtre du Rond-Point, en juin 2013 et le 19 Juin 2015
Mise en scène et interprétation : Jos Houben
Genre : Conférence mimée
Public : Tout public à partir de 12 ans
Durée : 1h
"L’art du rire", c’est le genre de spectacle qui réussit la prouesse d’être plébiscité par les ados, et plus encore, par VOS ados ! Je vois déjà vos yeux s’écarquiller. C’est quoi cette pépite ? Une conférence, enfin un "master-class", sur le rire. Là, vous vous dites que je me moque de vous. D’ailleurs c’est ce que vos ados ont tout d’abord pensé, et fort ostensiblement ! Deux ans plus tard, vous lisez que le même spectacle se joue dans le même théâtre. Et vos ados de vous tanner pour que vous les y rameniez. Alors, bon prince, pour leur faire plaisir, vous cédez !
Et, deux ans plus tard, c’est toujours aussi fort ! Un "spécimen mâle" d’1m87 - Jos Houben - entreprend seul sur plateau nu de décrypter le rire dans tous ses états : quelles sont les postures corporelles qui provoquent le rire et pourquoi, dans quelle condition faut-il installer le public pour qu’il rie, quels sont les ingrédients subsidiaires pour rire, quelles catégories de rieurs peut-on définir, etc. Bon, je vais arrêter là la théorie car ce qui fait précisément la force de ce spectacle hors norme, c’est l’intelligence du propos alliée à la mise en situation.
Le postulat de base, c’est la verticalité. La verticalité, apanage de l’espèce humaine et synonyme de dignité. Oui, oui, je suis une bonne élève et, sur les injonctions du professeur, j’ai pris des notes. Dès que l’humain perd cet équilibre, il fait rire et plus encore s’il est surpris dans ce fâcheux incident. Démonstration immédiate avec le gag éculé de la chute. Pédagogue, Jos Houben nous remontre le procédé plusieurs fois, de dos, de face, ajoutant une nuance (la chaussure qui vole) ou un témoin (son comparse Mustapha) et nous nous surprenons à rire au moment exact qui avait été prévu et alors même que nous avions été prévenus.
L’autre point fort de ce spectacle, c’est le jeu de Jos Houben. Seul en scène, avec pour seuls accessoires utiles à la démonstration une table, deux chaises, une bouteille d’eau, un torchon, une chaussure et un chapeau, il est d’un naturel déconcertant. Il joue comme il respire, il passe sans aucune transition du discours théorique à la mise en situation corporelle. Démonstration époustouflante avec la figure de l’alcoolique. Tituber, ce n’est pas, comme nombre de comédiens nous le montrent, marcher de travers et perdre l’équilibre, c’est précisément tout faire pour le garder, cet équilibre ; maintenir sa verticalité et donc sa dignité. On pourrait multiplier les exemples tant ils sont merveilleusement observés et interprétés. Mais, par écrit, cela n’aurait guère de sens. Seul le corps en scène - le bassin (le lieu des rires gras), l’abdomen (le moi) et la tête ("le cerveau") - peut concrètement nous faire entendre cette réflexion si sérieuse et pourtant désopilante.
Mis en confiance, le spectateur que nous sommes finit par accepter d’abandonner un peu de sa dignité pour se plier en deux de rire. Et on finit par rire de n’importe quoi : de l’imitation du camembert ou d’une galerie de portraits d’animaux (la poule, la vache, le poisson) qui visitent une expo d’art contemporain !
C’est donc à une sorte de leçon de choses à laquelle nous assistons. C’est brillant tant d’un point du vue du discours que de la perfection du jeu. On ressort détendu, un peu plus intelligent et mû d’une volonté nouvelle d’observation de ses congénères.
Catherine Wolff