Le Bourgeois gentilhomme

Spectacle produit par CICT Théâtre des Bouffes du Nord, vu aux Bouffes du Nord, en juin 2011 et le 30 juin 2015

 

Mise en scène : Denis Podalydès assisté de Laurent Podalydès

Direction musicale : Christophe Coin

Avec: 12 comédiens, 3 danseuses, 4 chanteurs et les 5 solistes de l'Ensemble La Révérence

Genre : Théâtre

Public : Tout public à partir de 12 ans

Durée : 3h avec entracte

 

Voilà un spectacle que tous les professeurs de français devraient pouvoir montrer à leurs élèves. Non qu’il soit didactique ! Mais tout en respectant la forme traditionnelle de la comédie-ballet, ce "Bourgeois gentilhomme", par la mise en scène, la scénographie et le jeu (tant musical que théâtral), est à même de réconcilier des générations de collégiens avec Molière ; d’en mettre en valeur la verve, l’irrévérence et le comique ! Promis, j’ai testé sur mes propres ados et par deux fois !

Le spectacle est d’abord visuel et c’est un régal pour les yeux. Dans l’écrin ocre des Bouffes du Nord, Eric Ruf a installé une discrète cloison qui sépare l’arrière-scène transformée en loge et qui reconstitue l’échoppe d’un drapier : rouleaux de draps, livres d’échantillons, grande table pour mesurer et couper. Au centre de cette cloison, un escalier file vers une loggia en sous-pente où sèchent des étoffes et qui offre un deuxième espace scénique d’observation. Aux décors répondent les costumes de Christian Lacroix, ceux de Monsieur Jourdain en particulier. Ridicules, bien sûr, par l’excès mais tellement beaux par la préciosité des étoffes ! Le maquillage n’est pas en reste. Lorsque Monsieur Jourdain accueille sa marquise, il est peint comme une Geisha, ridicule encore mais perclus d’amour. Le tout est baigné d’une lumière chaude et tamisée qui nous plonge dans la comédie-ballet du Grand Siècle.

Les comédiens sont époustouflants. Il y a quatre ans, date à laquelle j’avais vu la première version, la virtuosité de Pascal Rénéric (Monsieur Jourdain) tendait à écraser tous ses partenaires. Dans cette nouvelle version, la distribution est plus équilibrée. Emeline Bayart  campe une Madame Jourdain comme je n’en n’ai jamais vue : une bourgeoise pince-sans-rire, terrienne mais ô combien drôle et inattendue ! La mise en scène de Podalydès a le mérite de mettre en valeur même les personnages de second ordre, du maître de philosophie (Francis Leplay), étonnant de présence, jusqu’aux laquais (Léo Raynaud et Laurent Podalydès), polyvalents. Les 8 musiciens de l’Ensemble la Révérence mené par Christophe Coin et qui jouent à vue côté cour, ainsi que les 4 chanteurs, sont à l’avenant.

Mais au-delà des différentes prestations, ce qui étonne, c’est la finesse de la mise en scène et l’orchestration de l’ensemble. A un public qui décrocherait devant les intermèdes musicaux, Denis Podalydès, par l’intermédiaire de Monsieur Jourdain, offre le droit de regarder ailleurs. Monsieur Jourdain est comme un gosse quelque peu hyperactif. Il veut apprendre mais il n’y entend rien. Incapable de rester en place pendant la démonstration de danse et de musique, il gigote, regarde ailleurs, multiplie les regards entendus avec le public et asticote tantôt les pieds d’une danseuse, tantôt l’un des musiciens. Le public écoute ou regarde ou fait les deux, au choix ! Et tous les protagonistes sont invités à multiplier les rôles. Musiciens et danseurs participent pareillement au jeu. Quand Madame Jourdain surprend Monsieur en agréable compagnie, tout le monde se retire de scène le plus discrètement possible pour ne pas assister à l’orage qui couve. A contrario, lorsque Covielle (Alexandre Steiger), tel une sorte de Gollum indien, embrouille Monsieur Jourdain, toute la troupe observe à travers les claies de la cloison les réactions du dindon de la farce. Tantôt ce sont les comédiens qui changent de registre. Les amants, Nicole et Covielle (Elodie Hubert et Alexandre Steiger) ainsi que Lucile et Cléonte (Leslie Menu et Thibalut Vinçon) entonnent en danse un délicieux marivaudage.

La seule réserve que j’émettrais - toute subjective - concerne la danse. Toute subjective car c’est un art qui me laisse relativement indifférente. J’ai su apprécier le contraste entre la représentation « d’époque » et la contemporanéité de la chorégraphie. Cependant, les mouvements saccadés, brutaux et dénués de grâce ne m’ont pas convaincue. Dans le genre, je préfère le mauvais élève qu’est Monsieur Jourdain ! Cependant, et contrairement à la première version, la danse est plus présente, à la grande joie, sans doute, des amateurs et du Maître de danse de Monsieur Jourdain.

A la dispute des maîtres de Monsieur Jourdain, on répondrait que c’est l’ensemble des disciplines qui fait le Beau. Molière et Lully ont inventé avant l’heure l’interdisciplinarité. Et c’est tout à l’honneur de la troupe de ce "Bourgeois gentilhomme" d’avoir su retrouver l’art et la manière de cette Harmonie. Loin, très loin de cette interdisciplinarité prônée par le ministère de la Culture et passage obligé pour obtenir des subventions, parfois pour le meilleur mais si souvent pour le pire. Si bien que lorsque l’orchestre et les choristes chantent, en bis, l’air d’Atys, air qui dit que « même les Dieux n’ont pas vu un si beau spectacle »,  on se dit que c’est vrai !

Catherine Wolff

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