Les Balles populaires
Photo Patrick Loyst
Photo Patrick Loyst

Spectacle de la Cie Encore Qui? (44), vu au Domaine d'O, Montpellier (34), festival Saperlipopette, 10 Mai 2015, 17h30

De et avec: Frédéric Pradal

Genre: Jonglerie drôle et poétique, solo

Public: Tous à partir de 7 ans

Durée: 1h (version salle)

Création 2001

La compagnie Encore Qui ? se présente comme cherchant à « créer des spectacles à la lisière du théâtre et de la vie » et c’est bien le cas ici.

Nous voici environ 80 spectateurs en semi-extérieur, sur l’espace « Lire à la plage » du Domaine d’O. Dès son arrivée Frédéric Pradal, qui a l’œil à tout, cible avec beaucoup de drôlerie les jeunes enfants placés trop loin des parents, les téléphones, les appareils photos ! Remue-ménage chez les spectateurs, rires, ambiance ! Il s’arrête chez nous pour présenter son spectacle et s’appelle en réalité Gorky, mais les autres l’appellent « l’autre, le voleur, le Manouche ». C’est un personnage d’emblée attachant, un clown à l’accent rocailleux, qui chamboule poétiquement la grammaire et joue avec les mots. Tout en jonglant et en essayant de régler un accompagnement musical absurdement rétif, il parle. Il voyage beaucoup d’un pays à l’autre, parfois en clandestin. Il en rapporte des expériences dures, mais aussi d'autres styles de jongleries, qu'il nous mime. C'est très drôle de voir nos stéréotypes sur les étrangers transposés dans le jonglage - et ça en pointe bien le côté dérisoire ! Bienveillant et ouvert aux rencontres il a accueilli des amitiés éphémères, s’est posé quelques temps chez un vieillard solitaire, et maintenant il se plie aux désirs d’une jolie balle blanche ramassée au bord du chemin. Le regard toujours souriant et la voix tranquille, ce poète dit des vérités cruelles en nous contant l’histoire de sa vie, histoire à laquelle pour l’instant « il n’a pas trouvé de fin »... Mais le spectacle, lui, a une fin : Gorky en saluant nous signale que « le comédien qui le joue » c‘est Fred ! Nous voilà en plein « paradoxe » et renvoyés à nos fauteuils de spectateurs perplexes. Applaudissements nourris.

Jongleur talentueux, F. Pradal crée un clown étonnant. La jonglerie se veut ici un intermédiaire et rend plus supportable l’image que l'artiste nous renvoie : celle d’un monde absurde et cruel que l’on peut traverser en restant toujours l’étranger, l’autre. Le texte, très beau, dit l’essentiel et les pantomimes sont sobres et intenses. C’est ainsi qu’avec son humour naïf et sa vision poétique de la vie, Gorky sait « regarder l’odeur d’un sourire » et, si quelque balle ou massue lui échappe des mains, c'est que « c'est là que se glissent les "choses importantes" ». D'une balle il fait une compagne et avec son seul chapeau il fait revivre pour nous un vieil ami mort depuis. Nous comprenons que la mort n’est pas pour lui « un départ », et combien le langage politiquement correct tue la langue et les émotions. Le public, qu’il ne lâche jamais, est manifestement embarqué avec lui ! Oui, ce spectacle est paradoxal. Drôle, tendre et touchant, mais aussi triste et dur, il ravit et secoue ! Gorky le personnage n’est-il pas à lui tout seul un très beau poème signé F. Pradal ?

Profond, émouvant et drôle, « Les Balles populaires » est accessible à tous. On garde longtemps avec soi le personnage de Gorky et les talents du « comédien qui le joue ». Notre regard sur « l’autre, le Manouche » ne peut plus rester le même.

Existe en version courte, ou rue : 45 min.

Catherine Polge

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