Mange Tout
Mange Tout

Spectacle de la Cie Délit de Façade (30), vu au Domaine d'O, Montpellier (34), festival Saperlipopette, 10 Mai 2015, 15h

Création et mise en scène: Dick Downey et Vicky Andrews

Création marionnette: Romain Duverne

Genre: Marionnettes, conte caustique et grinçant

Public: Tout public à partir de 6 ans

Durée : 12 minutes

Jauge: jusqu'à 500, extérieur

Création 2012

La Cie Délit de Façade se singularise en présentant des spectacles de marionnettes sur les façades de bâtiments d’habitation. "Mange Tout" est l’un des mini-spectacles de "Menus Larcins", qui en compte quatre.

J’ai renoncé à évaluer le nombre de spectateurs massés devant une façade du château d’O. Plusieurs centaines, c’est sûr, et de tous âges. Quelle que soit l’affluence, il est conseillé de ne pas s’installer trop près de la façade, car la vieille dame vedette du spectacle a des habitudes un peu déroutantes, même pour une marionnette ! Charmante avec ses rides, ses bigoudis et ses lunettes-papillon elle s’active à sa fenêtre de bon matin : inspection des fleurs, nourrissage des nombreux oiseaux en cage. Elle aime la nature, enfin nous l'imaginons jusqu'à ce que nous découvrions son secret : quelqu’un de terrifiant vit chez elle. Quelqu'un dont la voix fait trembler la femme, les objets et les murs ! Cet ogre a faim, il veut de la viande, et toujours plus. Sur une musique funèbre, la vieille dame pleure pour le pigeon dont elle a tordu le cou et elle se précipite à la fenêtre. Pour appeler au secours ? Non, pour appâter les chats, les chiens et les enfants qui passent, en installant des fils de pêche ! Excellent, décapant !

Aussitôt le spectacle terminé sur cette apothéose je regarde autour de moi : aucun enfant ne semble terrorisé. La magie du conte et de la marionnette a fonctionné. Une façade, c'est encore mieux qu'un castelet, car il s'en passe des choses, derrière ! Et les bruits ne sont-ils pas les premières alertes de ce qui se passe chez nos voisins ? Ici la création sonore, parfaite, mène la danse. Le transistor s'égosille, la voix de la dame prend des stridences, et le terrible hurlement venu de l'arrière-fond déclenche un déferlement de bruits : cataracte d'urine, rots, cris. Au rythme de ces sons d'une ampleur épouvantable, la vieille dame s'empresse, s'affole, accélère : essore - par la fenêtre - un énorme slip trempé, vide un pot de chambre par le même chemin, tue un pigeon et tend des pièges. Le tout en musique ! On entend dans le public des rires et des exclamations, bien que cet humour grinçant semble crisper quelques spectateurs. En 12 minutes à peine, la mise en scène dose astucieusement le mystère et les contradictions de cette vieille dame qui épargne ses propres oiseaux mais tend des pièges ; qui pleure mais en fait toujours plus pour satisfaire le gros méchant caché chez elle ; qui a peur de ce monstre qu'elle appelle "mon chéri", etc. Elle semble prête à tout, même à l'indicible, et c'est là toute l'ambigüité de la pièce, qui fait réfléchir. Bravo également aux trois marionnettistes dont j'imaginais l'activité là-haut pour mener cette aventure tambour battant ! Le spectacle a été très applaudi.

Ce très bon spectacle joue sur le mystère, l'inattendu et les contradictions. Caustique, il séduit et choque tout à la fois. A conseiller à tout public prêt à adopter, pendant 12 minutes, une saine position humoristique de base et à rire sans frein. Les enfants en profiteront à partir de 6 ans.

Catherine Polge

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