Ailleurs le caviar est meilleur
31 juil. 2015Spectacle de la Cie des Sherpas (34), vu Au festival Off d'Avignon, le 24 Juil.2015, 16h10, au théâtre des Vents.
De et avec : David Baux
Mise en scène : David Baux et Jacopo Faravelli.
Genre : Solo burlesque sans paroles, théâtre d'objets, mime
Public : Tout public dès 8 ans
Durée : 1h
Jauge : de 30 à 300 selon lieux
Création : 2015
Avec finesse et sensibilité D. Baux invite le public à participer aux rêves qui peuplent le sommeil d'un petit monsieur solitaire. Dans son rêve, le voici qui sauve de la casserole la pomme de terre prévue pour son repas... ce tubercule plantureux et l'esseulé tombent amoureux et se marient... la photo de son chien disparu s'anime et l'animal, qui préférait le caviar au Canigou, s'incarne... mais un drame passionnel provoque la mort de la dulcinée suivie de peu par celle du héros... puis par des retrouvailles à trois au paradis des poètes sur un air de Luis Mariano. Dans cette drôle d'intrigue, situations cocasses, mime, détournements d'objets et bande sonore font jaillir une poésie faite d'évocations tendres ou passionnées, nostalgiques ou franchement comiques. C'est tout le talent de ce comédien de nous convier à regarder au-delà du réel brut pour peu que nous le suivions dans ses voyages intérieurs.
D. Baux nous fait rapidement pénétrer dans le rêve d'un homme endormi à table et l'idylle avec la pomme de terre déploie progressivement ses nombreuses facettes : un monde imaginaire s'incarne. J'y ai retrouvé la vie, avec ses moments de joie ou de peine, ses désirs et ses regrets. J'ai beaucoup souri et bien ri, comme lorsque la pomme de terre se prélasse sur une plage tandis que D. Baux équipé en plongeur s'ébat dans sa baignoire. Mais l'émotion m'a prise à la gorge lorsque, revêtu d'un masque de chien et s'incarnant dans l'animal, le comédien s'assied au piano en fixant le public. Regarder le masque en face m'a été difficile tant la présence du regard de l'animal s'est imposée, et le silence a régné dans la salle sur fond de musique triste (adapt. perso. du Concerto Aranjuez). Bravo ! La gestuelle de D. Baux est élégante et précise. Qu'il marche, danse, mange, nage ou vole comme un papillon, c'est comme s'il dessinait les contours de l'imaginaire en nous invitant dans son monde. Pas totalement muet il s'exprime dans un gromelot (langage des clowns) qui en dit plus que des paroles. Ainsi, lorsqu'il nous sert une cérémonie de mariage avec sermon à la clé, impression de réalité et effets comiques se disputent la première place. Très réussi ! Plusieurs détournements d'objets effectués à vue du public introduisent une subtile distance humoristique : couvercle, torchon, cintres, parapluie, panier à salade, etc. révèlent leur potentiel "poético-comique" ! La bande sonore, avec ses bruitages et une dizaine d'extraits musicaux diversifiés, participe à l'émotion et à l'homogénéité du spectacle. L'incroyable apothéose onirique finale se conclut sur un gros plan (presque cinématographique) sur la boîte de caviar. Ceci laisse à penser que le souvenir du chien noir et blanc a quelque chose à voir avec la chaleur (humaine...) dégagée par cette belle création.
Ce spectacle de qualité qui allie rigueur de construction et élégance, autant que comique et émotion, m'a parfois fait penser à Pierre Etaix (dans ses films). Sensible et fin il s'adresse à tout public disposé à se laisser conduire sur les pistes d'un rêve où les multiples émotions de la vie se succèdent et s'entrechoquent. Et pour suivre les traces du caviar, voir le spectacle !
Peut également être joué en appartement.
Catherine Polge