Braises
Braises

Spectacle de la Compagnie Artefact (91), vu à la Manufacture (patinoire), Festival d'Avignon 2015

Texte : Catherine Verlaguet (éditions Théâtrales 2014)

Mise en scène : Philippe Boronad

Jeu : Manon Allouch, Leïla Anis, Aïni Iften

Genre : Théâtre

Public : Tout Publics et publics adolescents

Durée : 1h

Création 2015, en tournée

Catherine Verlaguet, jeune auteure contemporaine vivante (que vous avez pu connaître pour son adaptation du roman "Oh, boy !" de Marie-Aude Murail, création qui a reçu le Molière du spectacle jeune public en 2010) s’empare dans "Braises" du conflit intergénérationnel et interculturel que rencontrent aujourd’hui nombre de jeunes filles d’origine maghrébine, nées en France, qui y vivent et y évoluent, tiraillées entre le respect des traditions régies par les hommes (et les femmes) de la famille, et leur propres interrogations sur les discours modernes d’intégration sociale, de droits de l’homme, de droits de la femme, de liberté individuelles dont les inonde la société dite moderne. Sujet donc, très intéressant et actuel.

Leïla, une jeune femme tout juste majeure, née en France de parents maghrébins, s’apprête à se marier. Elle se regarde dans le miroir. Elle est habillée en blanc, probablement pour traduire le signe d’une certaine intégration culturelle. Sur le plateau, un canapé. La mère de Leïla y est assise avec un air que je dirais hagard. Une tapisserie orientale couvre l’intégralité du fond de scène, nous sommes dans un salon en France, probablement dans une famille issue de la première génération d’immigrants maghrébins. C’est un jour excitant, heureux pour la jeune femme. Pourtant un malaise se fait sentir. Le public comprend qu’il existe quelque part une deuxième fille. Dans son échange avec sa mère, Leïla dévoile peu à peu que Neïma, jadis amoureuse de Jérémy, a dû fuir sa famille.

Dans son habile mise en scène Philippe Boronad s’appuie sur des échanges rétrospectifs et "humano-socio-existencio-culturels" entre les 2 sœurs et l’on découvre peu à peu les circonstances du poids du passé et des traditions, ainsi que l’origine de la fracture entre ces deux filles qui s’aiment et se respectent pourtant toujours. Toutes deux sont confrontées aux mêmes interrogations, à la même réalité d’intégration difficile, tant dans la société moderne, qu’au sein de leur famille fondamentalement attachée au respect des traditions.

Manon Allouch incarne avec justesse le personnage de Neïma - jeune femme affranchie, en jean et tee-shirt rouge -, amoureuse, libertaire innocente, prête aux premiers émois avec Jérémy. On sent à travers son jeu le fameux "goût sucré de la liberté". Elle interprète le même regard que les autres jeunes filles de son âge sur la société qui l’entoure, et fait parfaitement ressentir le déni violent de sa famille. Sa situation de victime la prédispose au piédestal (ce qui n’était peut-être pas l’intention de l’auteure).

Sur le canapé, Aïni Iften joue une mère vénielle perdue entre ces 2 univers, à la fois résignée à laisser faire les hommes, et malgré tout repliée sur ses croyances et son histoire. Ses décisions de vie en France n’intègrent pas la liberté de la femme. « Comment fais-tu maman pour faire cohabiter ces 2 mondes ? »

Leïla Anis, plus jeune pour de vrai mais aussi dans la pièce, traverse son jeu initiatique avec plus d’ignorance que sa partenaire, comme pudibonde, naïve et soumise à la fois. C’est la petite fille qui fait comme lui dit sa mère. Son rôle exige une certaine candeur, un certain manque d’expérience, une obéissance et une résignation qu’elle traduit sur scène (ou pour de vrai, du coup, je n’ai pas su). Son personnage est plus chaste, plus en quête de paix vis-à-vis de la famille ce qui contraint sûrement la comédienne.

Catherine Verlaguet est plutôt connue pour interroger et éveiller le débat, que pour enfoncer des portes ouvertes. Ce qui l’intéresse c’est de créer du lien, du questionnement, de la polémique. Leïla aura-t-elle d’autres choix que de construire sa vie sur les ruines et le déshonneur qu’a laissés Neïma ? Ou devra-t-elle s’émanciper pour fuir le sort - parfois mortel - que promet le carcan familial ? La mise en scène traduit aussi très bien cette volonté de perspective. Pour Philippe Boronad, "l’exploration menée a vocation à renouer le lien profond entre les êtres, quelle que soit leur appartenance". (Extrait du site internet de la Cie Artefact.)

La chanson finale des 3 comédiennes juste après leurs saluts, m’a laissée plus perplexe, à moins qu’elle n’ait été un clin d’œil à la présence "sopranique" (soprano-dramatique) d’Aïni Iften.
Je l’ai un peu sentie comme une "réconciliation collective de fonction" bien éloignée de la scène de viol collectif et d’immolation qui venait d’être jouée précédemment en vidéo.
Mais chut. On est Charlie ?

Allez Zou ! Création 2015 à voir et programmer de toute façon.
Danielle Krupa / Allez Zou !

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