King du Ring
30 juin 2016Présent sur le Off 2016
Spectacle de la compagnie Corps de Passage (84), vu au théâtre Artéphile, Festival d’Avignon 2015
Auteur : Rémi Checchetto
Interprète : Adeline Walter
Metteuse en scène : Alexia Vidal
Genre : Théâtre « Mouvementé »
Public : Adulte à partir de 14 ans
Durée : 1h30
C’est après 20 spectacles en tout et 3 spectacles le même jour que je suis allée voir « King du ring ». Jamais je n’aurais dû.
Jamais je n’aurais dû avoir les paupières si lourdes et gonflées par le manque de sommeil. Jamais je n’aurais dû avoir le cerveau si ralenti par la chaleur et la moiteur des rues. Jamais mon cœur n’aurait dû faillir tant, balayé par des mâchoires que je ne pouvais contenir en arrivant. C’est ainsi que je suis montée sur le Ring. KO. Et pourtant.
Et pourtant jamais combat ne fût aussi beau.
Dans le glossaire sur la boxe de Wikipédia, on peut lire à la lettre I : « Incertitude événementielle: caractère de ce qui ne peut être déterminé, connu à l’avance. Dans les sports de combat, l’incertitude donne une indication sur le caractère imprévisible du comportement adverse ». Partons de là. C’est une actrice, pas un acteur qui arrive sur scène, une belle jeune femme blanche en tenue de boxe (même pas le nez cassé), autour de laquelle le Ring se dessine au fil de l’exploration du texte.
Le 1er coup part, et c’est par le portrait intime et psychologique d’un homme (Mohamed Ali), qu’Alexia Vidal nous invite à entrer dans le jeu. Un texte long comme une bonne vingtaine de rounds alors qu’un match en moyenne ne durerait qu’une douzaine de rounds, voyez ? Mais un match de la vie en quelque sorte. Un match qui secoue le monde avec des mots pour se révolter et le mettre KO. Un match avec des coups mortels, douloureux, portés ou reçus, amorcés, esquissés par Adeline Walter dans un souffle gracieux et quasi unique durant l’intégralité du spectacle. Un texte qu’elle joue de manière très impressionnante, performante, incarné dans sa chair, par la viande qui frappe, qui porte des coups oui à la vie, à la toute-puissance, à la dignité, à la force, à la souffrance, sans jamais y mettre de point final.
En contrepoint de cette densité physique, un discret mais prenant travail de vidéo enferme ou libère ce corps, contredit la nudité du plateau : cadre du ring, évaporations de fumée, suave envol d'oiseaux sur un paysage d'Afrique, cette délicate scénographie prolonge la lecture induite par la comédienne : ça parle de coups, oui, de boxe et de corps, de rythme et de danse, mais ça parle aussi d'émancipation, de combat pour la reconnaissance des Noirs dans une Amérique raciste et violente, de révolte. Et quand résonnent, à la toute fin, les notes de « Strange Fruit » et que sont projetées sur le corps de la comédienne les images d'Ali en pleine démonstration de grâce, on se dit que ce texte et sa mise en scène réussissent l'impossible : faire de la politique en parlant de chair.
Sur la base de deux définitions du petit Robert : « Théâtre » et « Mouvementé », la compagnie Corps de passage (ou Cordes pas sages) basée à Avignon adapte le texte de Rémi Checchetto dans « un théâtre en mouvement, accidenté et vivant », inattendu, beau, dense, profond d’intelligence, impressionnant dans les choix de mise en scène, dans la scénographie et dans le jeu d’acteur, mêlant le corps au mot, la chair à la syntaxe, le sang aux battements d’ailes, la guerre aux papillons.
Certainement une des propositions les plus travaillées entre toutes celles ce que j’ai pu voir (avec cet autre : « Sur la Page Wikipédia de Michel Drucker il est écrit que ce dernier est né un douze septembre à Vire » de et par Anthony Poupard, mais toujours pas Francis Lalanne, non), « King du Ring » est la démonstration spectaculaire qu’un texte long et exigeant, saisissant par ses multiples lectures, peut être mis en scène et interprété brillamment.
Danielle Krupa / Allez Zou !