Spectacle du Footsbarn Travelling Théâtre (03), vu sous le chapiteau de la compagnie à 19h30 le 24 juillet 2015, Avignon OFF.

D'après le roman de Ken Kesey

Interprètes : Paddy Hayter, Paddy Fletcher, Domique Prié, Haris Haka Resic, Naomi Canard, Nicolas Clauzel, Josue Febles, Vincent Gracieux.

Genre : Théâtre tragi-comique

Public : Tout public dès 12 ans

Durée : 1h40

Le mondialement connu "Footsbarn Travelling Théâtre", célèbre troupe de comédiens itinérants, est présent en cette année 2015 en Avignon OFF. Mais c'est qu'il fallait le mériter, le vouloir, pour aller dégoter le célèbre chapiteau entre ZUP et Parc des sports, extra muros, à 4 km des murs de la cité papale.

Ces gens de théâtre-là, anticonformistes, sont restés trop intègres, trop comédiens, trop fauchés, pour avoir accès à la "Cour d'honneur"... qui devrait leur revenir de droit, car sachez Messieurs les gérants de la culture qu'adapter aussi magistralement le célèbre roman de Ken Kesey, interpeler avec ce texte rebelle le bon ordre établi est superbement courageux. Une tragédie humaine écrite, le théâtre s'en empare : sur un mode farceur, burlesque, il informe, il dit, dénonce l'inhumanité de l'humanité.

Merci à votre Compagnie de persister à vouloir réveiller les gens où qu'ils soient, les sortir de leur canapé, télé, ordinateur, les déranger avec vos parades somptueuses, vos créations inégalables, vos spectacles somptueux. Chacun parmi vous, tel un Carnaval festif, veille au réveil, à l'éveil des consciences. Merci de brasser les nationalités, les langues, les consciences, les cultures et d'avoir aussi la préoccupation de transmettre, diffuser, partager à la Chaussée, à Hérisson vos connaissances, vos acquis, vos cœurs en folies, vos feux carnavalesques face à ce monde si moche souvent !

C'est qu'ils ont baroudé, joué dans les rues, les quartiers populaires, les villages, sur le rocher à Monaco, à Dublin, en Inde, en Afrique, en Russie... J'ai moi-même "festéjé", comme on dit en pays d'OC, avec l'équipe du Footsbarn, autour d'Uzès (où ils ont été en résidence), assisté à des parades assorties de soirées villageoises d'une exceptionnelle convivialité. J'ai également eu le grand bonheur d'assister à "Romeo et Juliette" dans l'île de Martigues : Paris et Roméo, leur combat sur échasses sur une placette de l'île et inoubliable de beauté, le final si somptueux, arrivée de nuit sur les canaux de cette Venise Provençale, une gondole éclairée de torches incandescentes où reposent les corps sans vie des deux amants de Vérone.

Des kilomètres avalés par la caravane des "saltimbanques" inclassables, des vieux bahuts, une école, des caravanes sur les routes en toute saison. Ils en ont mis en fête des villages, des quartiers, des cités, avec leurs parades extraordinaires époustouflantes : masques, grosses têtes, échassiers, marionnettes géantes, costumes bigarrés.

Du théâtre comme il n'en existe quasiment plus de nos jours. Ceux-là persistent à mettre fête et joie dans les cœurs, les corps, les têtes, tout autour de ce vaste monde sur-consommé, sur-médiatisé. Bouffons talentueux de nos social-démocraties, je vous salue, vous applaudis et ne vous remercierai jamais assez ! "Viens voir les comédiens voir les musiciens qui arrivent..."

Je fais partie des quelques chanceux qui y étaient dans ce chapiteau du Footsbarn excentré du cœur de la cité en cette fin de festival OFF le vendredi 24 Juillet.

Randall Mac Murphy est excellent de rire et de truculence; il joue dans sa langue, celle de Shakespeare. Les deux Paddy sont plus que jamais extraordinaires: P. Fletcher interprète magistralement ce personnage prompt à secouer l'institution et ses cadres, surtout la redoutable infirmière chef, Miss Ratched, interprétée par Paddy Hayter. Et l'on retrouve chacun des personnages qui (lors de la lecture du roman ou pour ceux qui ont vu le film) nous ont marqués : l'indien (Haka Resic), le bègue (Nicolas Clauzel), on ne peut mieux interprétés. L'indien appuyé sur son balai entend et voie, alors qu'on le croit muet et sourd : intensité du regard d'Haka Resic.

Afin de rendre le spectacle "digeste", quelques marionnettes (masques et poupées à taille humaine) et des gags, trouvailles carnavalesques, allègent le propos (une marionnette qui fait pipi dans une cuvette). Et une vidéo intervient à mi-représentation : un temps hors institution psychiatrique, la sortie de pêche réclamée par Mac Murphy. Séquence cinéma, le film de la sortie nous est projeté, on est embarqué dans une réalité hors institution, des êtres libres même si "sous camisole chimique", d'autres à jamais éteints. Souffle bienvenu, bouffée d'air, une belle séquence d'humanité que cet épisode filmé hors les murs... en liberté. Cet épisode donne du souffle à la pièce. De beaux espaces légers et drôles, bien pensés par la mise en scène de Frédérica Heyter. La pièce n'en est que plus pertinente, sans concession (rapport au sujet) et volontairement habile à dire et dénoncer tout en préservant le rire et la farce. Hôpital, salles de soins, bureau de la "nurse" restent durant la représentation sur un second plan du plateau, derrière un voile fin qui lui aussi constitue une trouvaille de la scénographie.

Ecrit en 1961, le roman de Kesey s'avère plus actuel que jamais : hommes privés du libre arbitre; chef tyrannique qui broie les individus non formatés et les restitue "remis aux normes"; dénonciation de toute forme de dictature; ôde à la liberté, à l'amitié; cette œuvre nous parle toujours.

Vous signez là chacun et tous ensemble : costumes, masques, décor, régie, lumières, marionnettes, son. Pour notre bonheur à nous bienheureux spectateurs, une fable fastueuse avec une bande d'insolents ; vous êtes "dopés" par les challenges fous et ultimes. Ces aventures âpres et folles, ultimes, vous les partagez volontiers avec vos spectateurs qui vous savent inspirés par les thématiques "Inclassables". L'énergie est toujours la même, vivifiante, intacte, votre désir rivé au cœur : faire rêver les hommes. Avec cette fable moderne sur la liberté et le droit à la différence, merci pour ce travail formidable, un formidable soleil qui fait chaud au cœur dans l'obscurantisme ambiant. Votre énergie créatrice et multi-culturelle, votre générosité nous sont précieuses, indispensables !

BRAVO. Un très très grand merci à vous tous et toutes, et à très bientôt, je l'espère du fond du cœur ! On ne peut que recommander ce bijou de créativité aux directeurs de salles, de théâtre, aux programmateurs culturels. Une adaptation formidable d'un roman classique, un produit culturel d'une rare qualité. Cette adaptation magistrale de la littérature contemporaine anglo-saxonne est à voir absolument par tous ! Du théâtre comme eux seuls savent en faire ! Courrez-y !

UNIQUE !

Lydie-Gisèle Brogi

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