Auto-Psy (de petits crimes innocents)

Présent sur le Festival OFF 2017

Spectacle de la Cie Théâtre Stéphane Gildas (75), vu à Avignon dans le cadre du Off 2015, le 22 Juil., 21h15, Théâtre de l’Alibi.

Pièce de Gérald Gruhn, 2007 ("Auto-Psy", ABS éd.)

Mise en scène : Stéphane Gildas

Interprète : Carine Coulombel

Participation amicale : Giancarlo Ciarapica.

Genre : Theâtre, comédie burlesque

Public : Tous dès 14 ans

Durée : 1h05

Création : 2013

Salle comble (49 places). Une petite fille pleine de candeur et de naïveté détonante raconte et met en actes certains passages de sa vie, sous forme d'une succession de tableaux. Elle grandit et devient adulte au vu du public en le prenant à témoin. Ne connaissant dès sa naissance que la violence, entre un père truand alcoolique, une mère prostituée et une grand-mère maltraitante, elle a élaboré un code de survie dans une totale immoralité. C'est ainsi que sa trajectoire est jonchée de cadavres car elle élimine très naturellement les gêneurs. Le spectateur pourrait vivre une heure d'effroi glaçant et partir pantelant. Hé bien non ! Le spectacle baigne dans une ambiguïté où d'étranges effets comiques surgissent de la confrontation entre la candeur du personnage et les horreurs qu'elle commet de sang-froid. On se surprend donc à rire ou sourire. On est aussi ému car le personnage est touchant et pose un regard assez lucide sur sa vie. Lorsqu'elle finit par tuer involontairement la seule personne susceptible de répondre à ses appels à l'aide, le spectacle laisse le public sur de nombreuses interrogations.

L'interprétation est remarquable. C.Coulombel maintient l'attention du public sans une faille dans un rôle difficile fait d'une très longue narration à la première personne. Le personnage est présent, pathétique et drôle et la comédienne arrive à rendre crédibles les mouvements de tendresse, de souffrance ou d'hésitation de ce personnage terrifiant. Lorsqu'elle parle en petite fille naïve, elle évite tous les pièges (excès, maniérisme, etc.) de ce type de rôle. J'ai apprécié le naturel épatant lorsque la petite dit prendre ses parents pour modèles ou lorsqu'elle s'attache à des détails comme seuls les enfants savent le faire pour interpréter un ensemble. Ainsi, nettoyer un tapis sanglant fait partie de la vie de famille ! Dans une scène excellente, l'arrivée surprise de ses règles la jette violemment dans l'adolescence. C.Coulombel joue alors la crainte, l'étonnement puis l'utilisation cynique de son statut de femme. Du début à la fin, son jeu passe sans rupture de l'enfance à l'âge adulte, des couettes à la tenue sexy, de la naïveté réelle à la rouerie, de l'étonnement à la colère. Il faut souligner le rôle du décor modulable que la comédienne transforme elle-même, passant ainsi rapidement d'un évènement ou d'un type de comportement à un autre. Bravo !

La créativité de la mise en scène soutient l'attention du public tout en respectant cette œuvre difficile. Sur un rythme sans défaillance, la cruauté et le massacre de l'innocence sont traduits dans leur crudité mais avec finesse. J'ai beaucoup apprécié la fin qui nous fait découvrir, comme dans un mouvement panoramique, un psychanalyste dans son fauteuil, tout près du public. Lorsque l'héroïne le tue par mégarde et nie sa mort, cette fin redistribue les cartes en poussant le spectateur à revisiter la pièce sous un autre angle. Et peut-être a-t-elle aussi tué le public ? En tout cas j'en sors vivante et éberluée.

Excellent spectacle, plein d'humour noir mais aussi d'émotions, pathétique et drôle. Cette pièce est pleine d'enseignements sur le regard que les enfants portent sur les adultes, sur la "surdité" des adultes, les relations parents-enfants, la difficulté de grandir et bien sûr la complexité des problèmes liés à la maltraitance et à la violence de la société. A voir. Les âmes sensibles n'ont rien à redouter, grâce à la qualité du jeu et du texte et aux très nombreux moments de grâce de ce spectacle inoubliable.

Catherine Polge

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