King Kong Théorie d'après Virginie Despentes
King Kong Théorie d'après Virginie Despentes

Spectacle de la Compagnie 411 Pierres (75), vu au Théâtre des déchargeurs (Paris 1°), le 19/01/2016

D'après l'oeuvre de Virginie Despentes

Adaptation et mise en scène : Emmanuelle Jacquemard

Interprétation : Marie-Julie Chalu, Célia Cordani, Ludivine Delahays, Anissa Kaki, Lauréline Romuald

Genre : Théâtre

Public : Adulte

Durée : 1h15

Le chaleureux Théâtre des déchargeurs a le grand mérite d’avoir pris le risque de coréaliser le spectacle de la toute jeune Compagnie 411 Pierres qui met en scène, de façon admirablement convaincante, le brûlot féministe de Virginie Despentes, "King Kong Théorie".

"King Kong Théorie" (2006) est un essai autobiographique. Par ce livre, Virginie Despentes inaugure un genre original où, de ses expériences personnelles, traumatiques (le viol) ou transgressives (la prostitution choisie, la pornographie), l’auteur tire matière à une théorie féministe crue et combative. Les questions posées, comme pourquoi le désir est culturellement masculin, sont essentielles. Les réponses esquissées sont paradoxales. Ainsi, contrairement aux abolitionnistes, Virginie Despentes postule que la prostitution, activité certes pas anodine (nuance de l’auteur), peut être l’espace d’une reconstruction narcissique, d’une expérimentation de la sexualité, d’une vraie autonomie financière, d’une découverte de la solitude masculine.

La force de la Compagnie 411 Pierres est d’avoir réussi à faire entendre la profondeur du texte, son ironie et sa colère, sans le dénaturer. D’emblée l’espace scénique nous plonge dans le paradoxe. Nous entrons en salle tandis que sur scène, dans un décor dépouillé d’institut de beauté, 5 jeunes femmes s’apprêtent. Ce lieu, girly entre tous, devient tout autant espace de confidences trash que ring. Tantôt en peignoir, tantôt en sous-vêtements, les 5 comédiennes alternent vécu et théorisation de ce vécu. Le jeu est très physique. Elles dansent, parlent, s’engueulent mais s’empoignent aussi. Pour relater les scènes de sexe, elles s’enduisent le corps d’une sorte de mousse à raser aux effets tout à fait suggestifs.

Au-delà de la mise en scène, la qualité du spectacle tient aussi à la performance, dans tous les sens du terme, des 5 comédiennes. Chacune à sa manière s’approprie ce "je" et l’incarne tantôt avec douceur et fragilité, tantôt avec rage et colère, dans une sorte de monologue à 5 voix. Et malgré le sérieux du propos et la dureté du vécu, l’humour et l’ironie sont toujours sous-jacents. Ainsi, quand il est question de la masturbation féminine, l’une d’entre elle nous en fait une démonstration jouissive….à l’aide d’un brumisateur !

Ma seule réserve concernerait la dernière scène. Au beau milieu d’une tirade et alors que les jeunes femmes sont rhabillées, le noir tombe comme pour censurer la parole de la femme dans l’espace social. L’idée est intéressante mais le noir dure trop longtemps et l’effet n’est pas tout à fait maîtrisé. Mise à part cette remarque, "King Kong Théorie d'après Virginie Despentes" présenté par la Compagnie 411 Pierres est un très bon spectacle. Le texte, bien adapté, est fort dans son propos comme dans son écriture. Le questionnement qu’il soulève est généreusement porté par une équipe dynamique et pleinement investie. Elle propose d’ailleurs de poursuivre la réflexion à l’issu de la représentation. Je n’ai pas osé. Cependant, toutes m’ont convaincue de franchir le cap et de lire Virginie Despentes, finalement moins sulfureuse que féministe et sociologue de premier ordre.

Catherine Wolff

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