Phèdre (Racine)

Spectacle de la Cie Théâtrale Francophone (34), vu le 13 et revu le 20 Mars 2016, à 18h, au théâtre Pierre Tabard, Montpellier (34)

Tragédie de Jean Racine (1677)

Mise en scène : Damiane Goudet, assistée de Christophe Roche

Avec : Joël Abadie, Nicole Fournière-Ney, Karine Laleu, Hélène Poulain, Jacques Rebouillat, Jean-Louis Sol

Costumes : Sophie Bastide

Genre : Théâtre classique

Public : Tous dès 12 ans

Durée : 2h10

Jauge : de 50 à 800

Création Mars 2016

"Phèdre" est généralement tenue pour la meilleure pièce de Racine, avec ses scènes cultes, ses vers qui ont marqué des générations et les passions intemporelles de ses personnages. Monter "Phèdre" engage donc talents et énergie. Conquise malgré les petites hésitations que j'avais observées lors d'une des premières représentations, j’ai pu en le revoyant plus tard apprécier l’harmonie bien rodée de ce spectacle qui est une réussite.

L'intrigue s'inspire d'un mythe grec. En résumé, Phèdre, petite-fille du Soleil, éprouve une passion irrépressible pour Hippolyte, fils d’un premier lit de son mari Thésée, héros mythique et roi d’Athènes. La pièce commence alors que Thésée est parti en confiant son épouse et la cour à la protection d’Hippolyte. Or Phèdre s'épuise à tenter de contrôler son amour incestueux, ce qui inquiète sa nourrice Œnone. L'imprudence de cette dernière et la rumeur de la mort de Thésée conduisent Phèdre à rompre les digues et avouer son désir à Hippolyte, qui la repousse. Prise de jalousie délirante lorsqu’elle apprend qu’il aime la jeune Aricie, puis piégée par le retour de Thésée et par une maladresse d'Œnone, Phèdre provoque morts et désespoir autour d'elle, jusqu’à son propre suicide. Thésée, Aricie et Théramène précepteur d'Hippolyte restent seuls.

Le public s'installe alors que sur le plateau rêve érotique et passion s’offrent aux regards : une femme drapée dans un drap rouge sang, gît, effondrée mais vivante, en préfiguration de la forme que prendra la mort de Phèdre à la fin de la pièce. Cette vision charnelle annonce une mise en scène ancrée dans les corps et leurs vibrations émotionnelles.

Porté par d'excellents interprètes à la diction parfaite chargée de vie et d'émotions, et sans aucune emphase, le texte révèle toute sa beauté et sa puissance évocatrice. J'ai été frappée par la générosité du jeu de chacun. K.Laleu fouille tous les aspects du personnage de Phèdre et transmet sa complexité, avec sa lucidité comme ses aveuglements. Sa souffrance est palpable mais sa cruauté peut être glaçante. Sans jamais déraper la comédienne prend des risques en poussant parfois gestes et voix à l'extrême débordement émotionnel : ainsi, menant magnifiquement la longue scène de l’aveu à Hippolyte, elle trouve les mouvements justes pour à la fin se ruer passionnément sur lui. J.Abadie révèle un Hippolyte profond et convaincant à qui les tourments font prendre de la maturité. Face à Phèdre comme face à Thésée, il exprime avec nuances toutes les émotions, jusqu'aux plus fugitives, autant que sa détermination. Son précepteur Théramène trouve en J.L.Sol un interprète de sa sagesse et de sa sensibilité. Regard bienveillant et diction posée dont la respiration rythmée comme un chant m’a épatée, témoignent de l’affection qu’il porte au prince. De sorte que le public est prêt à vibrer à sa douleur lorsqu’il rapporte à Thésée longuement et dans les moindres détails la mort horrible d’Hippolyte. Très belle scène. N.Fournière-Rey donne au rôle important d’Œnone toute son ambivalence en traduisant parfaitement son dévouement aveugle et ses affolements qui la conduisent involontairement à provoquer sa propre perte comme celle d'Hippolyte et de Phèdre. H.Poulain est une Aricie digne et attachante. Quant au malheureux Thésée, J.Rebouillat traduit bien les balancements de ce héros mythique fort de ses exploits, massif mais sensible, déconcerté mais réactif, avant d’être définitivement ébranlé et ne plus être qu'un simple humain. Bravo à tous !

Les costumes très beaux sans esthétisme révèlent les rangs et les caractères : du raffinement rouge foncé pour la grandeur et la passion de Phèdre et un autre rouge plus enrobant pour la passion maternelle d'Œnone, un drapé près du corps pour Aricie, enfin du brun pour les hommes, marqué de cuir et métal pour les héros, comme dans l'iconographie antique.

Jouant sur une véritable incarnation des personnages, ce spectacle révèle le génie actuel de "Phèdre" et, ne serait-ce que pour les émotions qu'il procure, il mérite d'être vu. Le classicisme de la pièce est respecté et les enseignants verront là une excellente mise en jeu. Les publics scolaires découvriront le plaisir d'apprécier la vitalité d'une grande pièce. Les amateurs de "classique" retrouveront de grands moments de théâtre, mais ce spectacle ne doit pas leur être réservé. Très vivant, il peut en effet séduire un large public et donne à réfléchir sur les passions humaines et les agitations qu'elles suscitent, ouvrant de vastes débats.

Catherine Polge

Spectacles pour adultes de la Cie sur le blog : La Mort de Don Juan , Antigone

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