Goupil
29 mai 2016Spectacle de la cie Les Compagnons de Pierre Ménard (33), vu le 8 Mai 2016, 12h30, Domaine départemental d’O, Montpellier (34), festival Saperlipopette
Mise en scène et voix : Nicolas Fagart
Corps et langue des signes : Issabelle Florido et Sabrina Dalleau
Musique et sons : Maxime Dupuis, violoncelle
Genre : Théâtre gestuel et musical
Public: Tout public dès 6 ans
Durée : 45 min
Jauge : 150 scolaires, 300 tout public
Création 2015
Les compagnons de Pierre Ménard se sont fixé comme objectif "la mise en lecture d’œuvres contemporaines non théâtrales" avec la mise en œuvre d’un "vocabulaire corporel". La compagnie joue ici trois épisodes du "Roman de Renart" adaptés et illustrés par Samivel. Ce récit raconte avec humour les aventures du couple Goupil le renard et son oncle Ysengrin le loup. Toujours à l’abri du besoin grâce à sa ruse, Goupil se joue du loup, perpétuellement affamé. Faisant miroiter des festins, Goupil tend des pièges dans lesquels Ysengrin tombe à tous les coups, se ridiculisant. On rit des ruses de Goupil et du manque de clairvoyance d’Ysengrin et, bien que les farces soient cruelles, on est soulagé car le loup finit toujours par se sauver des pires brutalités.
Ce spectacle est un régal, presque magique. Sur une scène épurée où domine le noir, il mêle gestuelle, mots, musique et bruitages dans une partition à quatre parfaitement orchestrée : un conteur parfois "vociférateur", un violoncelliste également bruiteur, et deux "signeuses" (langue des signes) qui sont aussi mimes. L’ensemble, cohérent, attractif et plein de finesse, sollicite l’imagination du public et obtient d’emblée son adhésion (comme le prouvaient les conversations à la sortie). N. Fagart, excellent, conte en jouant sur des rythmes, tonalités et inflexions de voix d’une telle diversité qu’il propulse naturellement le spectateur dans le jeu des deux mimes. I. Florido et S. Dalleau n’illustrent pas l’histoire, bien mieux, elles la font vivre, passant avec une aisance et une vivacité extrêmes d’un personnage à un autre. A chacun elles donnent une présence forte. Par la gestuelle, elles dessinent des silhouettes animées immédiatement reconnaissables et pourvues d’une personnalité. Stupéfiant : les personnages expriment même leurs propres poids et tailles (oiseau, paysan, loup…) ! Postures et mimiques mettent immédiatement dans l’action. La musique et les bruitages de M. Dupuis donnent une prégnance à l’ambiance, que ce soit dans les différents régimes de l’action, ou dans les fluctuations émotionnelles, ou même dans les variations météo ! J’ai ainsi entendu et presque vu les glands tomber en automne et ressenti le froid de l’hiver. J’ai été épatée par la cocasserie de nombreuses scènes, comme par exemple une conversation entre un oiseau "du terroir" et un piaf très "british", ou le remarquable duo de deux paysans menant leur carriole au marché ! Humour et suspense sont au rendez-vous, avec des chutes bien amenées. Quelles que soient les aventures, contées avec changements de cadence à la clé, le spectacle n’a aucune baisse de rythme et ne m’a jamais lâchée.
Après la représentation, I. Florido et S. Dalleau ont enchanté le public en lui enseignant quelques signes, au rythme de la chanson de Goupil. Ainsi trois doigts suffisent pour figurer le museau du renard - et sa malice -, alors que toute la main exprime celui du loup - et sa lourdeur ! Voilà une belle démonstration du pouvoir expressif de la langue des signes.
"Goupil" offre une large palette de comportements anthropomorphes et le héros principal est loin d’être réduit à une caricature. Il y a là une réjouissante satire sociale à multiples facettes qui joue avec les rôles du puissant et du faible, et la diversité humaine est croquée avec des traits acérés, tant visuels que sonores. Les spectateurs qui apprécient le "Roman de Renart", ou l’humour de Samivel, retrouveront avec plaisir le duo Goupil et Ysengrin, et tous les publics sans exception sauront apprécier la richesse artistique de ce spectacle.
Le spectacle est adaptable à tout lieu et toute configuration.
NB : Qui est donc Pierre Ménard ? Un écrivain inventé par J.L. Borgès, et qui aurait ré-écrit Don Quichotte en français !
Catherine Polge