Casablanca'41
30 juil. 2016Spectacle de la Cie Golem Théâtre (38), vu le 26 juillet 2016, en intérieur, au Théâtre du Centre, Avignon(84), dans le cadre du Festival Off d'Avignon
Avec : Bruno La Brasca, Jacques Pabst, Muriel Sapinho, Frederika Smetana
Mise en scène : Michal Laznovsky
Scénographie : Daniel Martin
Genre : Tragédie presque burlesque
Public : Dès 15 ans
Durée : 1h15
Création 2016 pour Avignon
1941; Un bateau, le Fata Morgana, est au départ, depuis un moment… Ses passagers, certains sans papiers, attendent ce nouveau départ avec fébrilité, mais les évènements se précipitent et s'entrechoquent, à nu, durs, ou encore latents, tout en tension psychologique, au cours de ce conflit lointain qui se rappelle à eux tellement, et qui est aussi ici un conflit d'identités, de quête et de don de soi. Théâtre maritime et iodé. Exotique et troublant. Et en même temps profondément humain. Humain, comme humaniste.
Le grand jeu ; la trilogie d'amour, de mort et de faux-semblants. Le subtil contrepoint tissé par le jeu des acteurs nous interroge beaucoup sur la véracité des personnages, leurs liens, leur mythomanie… On oscille toujours entre rire (jaune) et larmes franches. Une sorte de slackline, où tout comédien évolue sur le fil, entre terre et mer, entre vertige et réalité, entre espoir et enfer.
Pour le public, une mise en abyme subtilement menée, intimiste ou globale, selon son point de vue, comme "Les faucons de nuit" d'Edward Hopper. Car nous parlons bien ici d'un accessit, le ticket gagnant vers l'Amérique. Et le Monde est en guerre, n'est-ce pas ?
"Pourtant, c'est un beau monde, non ?" (dans le texte)
Hervé Pace
L'exil, le départ, n'avoir plus rien, n'être plus rien qu'un être humain qui veut sauver ce qui était lui. Ils sont quelques réfugiés, juifs, communistes ou petits hommes ordinaires sur un bateau. Ils attendent le départ vers l'Amérique. Chacun se raccroche à une identité, des identités, presque toujours factices. Et à l'intérieur, bien cachée, le réfugié porte sa vie d'avant qui n'existera plus, qui est déjà morte comme tous ces morts qu'il a laissés derrière lui. Pourtant, son rêve est de revivre ce temps où " je n'imaginais pas qu'on puisse me tuer".
Zpevacek est ce petit homme tranquille, qui aime la vie, à l'image de millions d'autres dont la vie sera fracassée par la persécution. S'il apparaît un peu insignifiant, un peu ridicule au début, il nous touche d'autant plus quand on perçoit l'étendue de cette bonté toute simple faite de politesse, d'amour pour les siens, d'attention bienveillante. Bruno La Brasca l'incarne avec une grande sensibilité passant de la caricature burlesque à une profondeur tendre et lyrique. La mise en scène, subtile, explore les rapports entre ces êtres suspendus entre l'avant et l'après qui se cherchent, s'aident, se repoussent, font le deuil de leur passé et commencent à reconstruire. Elle est servie par des comédiens dont le jeu, tout en nuances, fonctionne à chaque instant en relation avec les autres, retissant de l'humanité par cette émotion qu'ils nous transmettent.
Cette réalité de la migration et de l'exil, une des facettes de la condition humaine depuis son origine, le dramaturge et metteur en scène tchèque Michal Laznovsky l'a explorée dans plusieurs œuvres de fiction ou documentaires. Il signe avec "Casablanca'41" sa première pièce écrite en français. Il nous livre aujourd'hui un spectacle émouvant et tendre d'une brûlante actualité qui nous rappelle à quel point chaque humain, même pris dans un drame collectif, reste une histoire unique.
Claire Beauvais