Fight Night
Fight Night

Spectacle de la compagnie Ontroerend Goed (Belgique), vu le 15 juillet 2016, à la Manufacture (patinoire), dans le cadre du Festival d’Avignon Off 2016

Auteur : Ontroerend Goed

Metteur en scène : Alexander Devriendt

Interprètes : Angelo Tijssens, Aurélie Lannoy, Charlotte De Bruyne, Grégory Carnoli, Hervé Guerrisi, Jonas Vermeulen

Texte : Alexander Devriendt, Angelo Tijssens et les interprètes

Traduction française : Aurélie Lannoy, Joeri Smet

Régie générale : Babette Poncelet, Iben Stalpaert

Genre : Théâ-réalité irrévérenc
ieuse

Public : A partir de 14 ans

Durée : 1h10 environ

Création 2016


"Vous avez peut-être déjà vu 'A Game of You', ce spectacle très remarqué au Festival d’Avignon 2009 ?" me pose-t-on comme question dès mon arrivée à la billetterie de la Manufacture. Moi non ; mais c’est aussi ce que j’entendais dans toutes les bouches du bus nous amenant à la Patinoire d’Avignon.

Il n’est pas étonnant que la première chose qui me soit arrivée en allant voir un spectacle de la compagnie Ontroerend Goed, ce soit justement qu’on me pose une question. Ontroerend Goed est un auteur qui interroge son public. Il le questionne avant, pendant, et après le spectacle. Je me demande même jusqu’à quand ça va durer, vu que sa future création parle du "point de non-retour où l’humanité décidera si la terre continuera avec ou sans la présence de l’homme". Délicieux sujet. On a hâte de connaître la réponse. La fin du monde, on n’y est pas encore dans "Fight Night", mais on en approche, c’est certain. On vote pour même, avec un boîtier fourni à chaque spectateur pour "contrôler la situation" durant le spectacle. Nous entrons dans un jeu de "théâ-réalité". Les comédiens nous sont présentés comme des candidats, par un présentateur chargé d’animer la soirée. Des candidats à quoi on se demande, mais l’animateur nous informe qu’ils vont tous les 5 se soumettre à nos votes plus ou moins hésitants (délirants ?), en direct et pendant plusieurs rounds (5 aussi), afin qu’ils soient éliminés un par un et, comme vous le savez, "qu’il n’en reste plus qu’un". Pour la beauté de l’un par exemple ; ou encore pour la potentielle confiance qu’on accorde d'ores et déjà à l’autre ; et quand les 5 candidats ont le droit de prononcer quelques mots pour nous séduire et éveiller en nous de la commisération, puisqu’on nous demande ce qu’on en pense, la sympathie ou le dégoût finit de convertir ce qui n’était qu’un penchant en de vraies actions concrètes. On appuie sur le bouton. Et puis on élimine. Et c’est parfois (plus tard) notre leader qu’on élimine. Nous sommes des êtres conscients, mais pathétiques.

Doit-on forcément voter, d’ailleurs, quand on nous pose une question bête? Je veux dire quand précisément on ne nous donne que des choix absurdes à faire… C’est la deuxième question puissante que je me suis posée, tout comme bien sûr le public. Mon voisin de siège (et précieux ami) s’est bien marré devant mon incapacité rapide et totale à éliminer une personne à cause de la couleur de ses cheveux, par exemple (je ne dévoilerai aucune des vraies questions posées au public). Mais à chaque fois ça marche. Le public a voté. Malgré l’absurdité apparente des propositions, une majorité se dessine. Que signifie cette majorité ? Se sent-on proche des autres ? Et puis… que fait notre leader de cette majorité ? Que reste-t-il d’encore lisible, de la première fois où l’avions "sélectionné" ? La troisième question, si brûlante et si actuelle, qu’Alexander Devriendt choisit évidemment de poser dans "Fight Night", c’est celle des dangers de la démocratie prétendue représentative de la majorité. Et c’est aussi la question des contrôles qu’exerce cette majorité apparente. Que faisons-nous de notre droit de vote ? Que et qui représente-t-il aujourd’hui ? Le faisons-nous dans la même légèreté que lorsqu’on vote pendant le spectacle ? La question n’est jamais abordée frontalement durant la représentation, mais elle s’immisce avec dérision, au second degré, dans un jeu dont tout le monde voit qu’il est absurde, mais auquel tout le monde croit avoir le pouvoir de participer. Que fait-on de ce regard que l’on pose (tous) sur cette situation absurde ? Avec "Fight Night" nous en expérimentons - ensemble - les limites.

La performance de jeu (à mes humbles yeux), consiste en ce que 5 des 6 comédiens qui font face au public chaque soir ont appris 5 textes différents (ils ont tous appris le texte des autres comédiens), et vont devoir en jouer 1, parmi ces 5. Ils ne savent pas lequel avant d’entrer en scène, évidemment, celui-ci étant le fruit de… (Mais cela n’est pas annoncé au public. Alors chut, je ne dis rien.) Ce que je peux vous dévoiler, c’est que le spectacle est (presque parfaitement) joué en français. Car il a été brillamment traduit. Et si vous aimez l’accent belge, "ben, une fois" vous vous régalerez. Deux écrans télé au-dessus du présentateur, 5 candidats sur un plateau, et une table pour 2 consultants techniques qui se tiennent prêts à informer le public sur les statistiques des profils votants. La scénographie et la mise en scène restent simples. Familières. Comme les votes du public. Dommage que la majorité des Belges vivent en Belgique. Mais, allez, on pourrait voter pour une grande tournée de "Fight Night" dans toute la France en 2016! A la veille des élections de 2017, comme ce serait bien…

Danielle Krupa / Allez Zou ! (A voté.)

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