Requiem

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Spectacle de Sonia Wieder-Atherton et André Markowicz, vu au TGP (Saint-Denis), le 14 janvier 2017

 

Texte: Anna Akhmatova
Musique: 3e Suite pour violoncelle seul, opus 87 de Benjamin Britten
Interprétation: Sonia Wieder-Atherton, André Markowicz

 

Genre: Théâtre musical
Public: Adulte
Durée: 1h

 

Parfois, les amalgames ont du bon. Je pensais avoir réservé pour écouter le "War Requiem" de Benjamin Britten. J’ai bien entendu du Britten mais en accompagnement de la tragique poésie de résistance d’Anna Akhmatova. Dans la petite salle du TGP, complète, le plateau est nu. Côté cour, assis à une table de travail, siège André Markowicz, le grand traducteur de russe, ici présent pour dire "Requiem" d’Anna Akhmatova. A sa droite se tient la non moins prodigieuse violoncelliste Sonia Wieder-Atherton. Ils font résonner ces deux œuvres, intimement liées, pour mieux faire entendre la tragédie du peuple russe dont Anna Akhmatova se fait le porte-parole.

Anna Akhmatova, grande poétesse russe du XXe siècle, est par sa vie même l’incarnation des souffrances subies par tout un peuple durant la Terreur stalinienne. Elle perd successivement ses trois maris, fusillés ou déportés. L’Etat tente, en vain, de la faire taire. Son fils unique en prison, Staline lui propose un pacte faustien: une éventuelle clémence pour son fils moyennant un panégyrique. Anna Akhmatova répond par "Requiem". "Requiem" ce sont 12 longs poèmes (8 seront lus dans la soirée) en mémoire de son mari, de son fils et, au-delà, de toutes les victimes de la Grande Purge. Les poèmes ont été composés "de tête", appris par cœur par des amis et, ainsi, diffusés à l’oral seulement, jusqu’à leur transcription en 1962. André Markowicz restitue le texte, toute proportion gardée, comme Anna Akhmatova l’avait, pour des mesures évidentes de sécurité, conçu: pas de traduction figée mais des notes qui laissent place à l’improvisation. Pour dire l’indicible, les poèmes sont dits en trois langues: le français, le russe et le violoncelle. L’œuvre de Britten qui ponctue les récitatifs et les explications de texte n’est pas choisie au hasard. Le compositeur l’avait dédiée à Rostropovitch. Lequel avait entendu les poèmes d’Anna Akhmatova. Il y a donc une filiation naturelle entre la musique et les poèmes.

La voix d’André Markowicz est douce et flûtée, même dans l’exaltation. Il récite en russe et passe au français par un simple "ça dit ça". Il commente le texte, explique les références difficiles à entendre pour un non-spécialiste de la littérature russe, pointe pour le spectateur les assonances et autres allitérations que le russe fait entendre mais que le français trahit. Par contraste, le violoncelle de Sonia Wieder-Atherton joue une voix plus grave ou plus stridente, c’est selon. Tantôt mélodieuse, plus souvent dissonante et saccadée, "la suite", qui exige un jeu très technique, fait deviner les sous-entendus terrifiants des métaphores graves mais pudiques d’Anna Akhmatova. C’est un spectacle exigeant mais rendu très accessible par la pédagogie d’André Markowicz, l’entremêlement des quatre voix (français, russe, violoncelle et enregistrement d’Anna Akhmatova elle-même), et par la durée resserrée de la représentation. Il en ressort une grande densité émotionnelle.

Catherine Wolff

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