Nous sommes de ceux qui disent non à l'ombre

Spectacle de la Compagnie Nova et FAB (Paris), vu à la Loge (Paris 11e), le 28 mars 2017.

 

Mise en scène : Margaux Eskenazi

Interprétation : Armelle Abibou, Yannick Morzelle, Raphael Naasz, Christophe Ntakabanyura, Eva Rami

 

Genre : Théâtre

Public : Adulte

Durée : 1h40

 

"Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre" est un si joli titre de résistance qu’il a su éveiller ma curiosité.

Le spectacle se joue à la Loge, scène alternative parisienne, sise en une admirable impasse, témoin du grand passé artisanal du 11e arrondissement. Dans ce lieu improbable, la salle fait un peu piètre figure. On s’y entasse à 80 sur des petits bancs très bas, très étroits (mais gentiment dotés d’un petit coussinet !). L’espace de jeu est tout aussi exigu. Ce qui pourrait être un atout pour instaurer une proximité avec le public constitue plutôt ici un handicap dans la mesure où ils sont cinq comédiens à se partager la scène. Bref, tout cela fleure bon Avignon. Et, comme en Avignon, les projets a priori jolis ne tiennent pas toujours leurs promesses.

"Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre" est un montage de très beaux textes signés Césaire, Senghor, Edouard Glissant, Aragon et Léon-Gontran Damas, pour ne citer que les plus convoqués. Bienvenue en "négritude" et à sa question subsidiaire posée par Césaire : "Comment écrire quand on est dominé ?" Nous assistons tout à la fois à la genèse de cette prise de conscience de l’homme de couleur à partir des années 1920, à une sorte d’hagiographie des représentants de ce courant à travers l’exposé théorique et poétique de leurs écrits, à la dénonciation en creux du colonialisme et des séquelles contemporaines de cette domination, pour en arriver à une sorte de manifeste pour la préservation du patrimoine linguistique dont la diversité constitue la mémoire et l’imaginaire de l’Homme. S’ensuit une litanie de dates contemporaines qui doit, je suppose, convaincre le spectateur de cette impérieuse nécessité. Et de la tolérance qui va avec. Loin de moi l'idée de les contester. Juste de m’interroger sur le sens du spectacle ou plus exactement sur un trop plein de thèmes qui finit par faire perdre totalement le sens du propos.

Le jeu et la mise en scène souffrent du même défaut. Il y a de très jolies scènes et de très jolies performances. Je citerais parmi d’autres la reconstitution d’un blackface, la présentation hystérisée de l’exposition coloniale de 1931, l’émotion du poème de Césaire "dans ma mémoire sont des lagunes", dit en théâtre d’ombres, ou la drôlerie douce amère de l’éducation reçue par Léon-Gontran Damas. Les scènes sont tantôt déclaratives, tantôt chantées, tantôt chorégraphiées. On entend de la musique en live ; on assiste à un plateau TV grotesque ; on écoute une conférence. Bref, le spectacle met en œuvre une grande variété de registres. Mais, là-encore, c’est le trop-plein. Toutes les techniques ne sont pas également maîtrisées ; il y a des accrocs dans le texte ou de vilaine raclures de gorge dans une jolie voix chantée ; les enchaînements ne sont pas franchement clairs et, surtout, ça n’en finit pas de finir.

"Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre" est un spectacle ambitieux, décevant en raison même de son ambition. A vouloir tout dire et tout montrer, le spectateur en ressort avec l’impression d’avoir assisté à un projet de fin d’études où il importe davantage de montrer tout ce que l’on sait faire plutôt que d’opérer des choix. C’est dommage.

Catherine Wolff

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