Ceux qui naissaient
14 avr. 2017Spectacle de la compagnie Le Cri du Lombric (34), vu le 05 février 2017, au Théâtre de la Reine Blanche à Paris (75).
Avec : Pierre-Alexandre Culo, Thibault David, Irène Le Goué, Camille Mouterde
Mise en scène : Marianne Griffon et Camille Mouterde
Genre : Théâtre, danse
Public : Tout public
Durée : 1h15
"Ceux qui naissaient" réussit avec subtilité le pari de mettre le divertissement et l’art au service de la culture et de la science. Le transhumanisme devient un sujet accessible, qui, au lieu de tomber dans une forme de carcan intellectuel, suscite la curiosité et l’intérêt des spectateurs avec dérision, rêverie et poésie. Une pièce contemporaine jouée avec brio, dans laquelle le public se retrouve à la fois témoin, spectateur et personnage, afin de nous interroger ensemble sur le devenir du corps humain.
"Bonjour ! Bienvenue dans l'institut". Avant même d’entrer dans la salle de spectacle, une femme nous accueille en blouse blanche et nous fait mettre des chaussons blancs comme à la crèche. Tout est bien pensé pour que le public se sente directement impliqué. Une manière de le faire entrer dans la ronde du cercle scientifique ou de planter le décor d’une salle d’attente pour le plonger instantanément dans le milieu hospitalier. En tout cas, c’est bon de se laisser surprendre. Et pour couronner le tout, le spectacle a lieu dans la salle Marie Curie.
Le spectacle a tout d’abord le mérite d’aborder un thème qui est loin de figurer parmi les classiques. "Ceux qui naissaient" sort du lot. Le transhumanisme inspire engouement, espoir, inquiétude, doute… Les nouvelles technologies vont-elles sauver l’humanité ? Sont-elles un remède contre notre finitude ou représentent-elles un danger ? Les évolutions scientifiques soulèvent un véritable débat éthique et le théâtre peut être aussi le moyen de provoquer l’éveil des consciences. En nous projetant dans un futur imaginaire, la pièce propose un tableau nuancé, sans parti pris.
"Ceux qui naissaient" interroge sur notre finitude, mais bien sûr, tout commence à la naissance. Le titre est bien choisi. Dès le départ, la métaphore des spermatozoïdes personnifiés par des comédiens en justaucorps blancs, nous fait entrer dans un univers original et intrigant. Ils parlent et gesticulent aux pieds des spectateurs assis en cercle pour délimiter le plateau. La chaleur du pancréas, surnommé "paradis rose", contraste avec la dureté de la vie extérieure. Des jumeaux représentent à la fois les similitudes et les différences inhérentes à l’existence. L’inégalité et la compétition commencent dès la vie intra-utérine avec la course aux spermatozoïdes. "Les abîmés" désignent les chromosomes porteurs de handicap ou de maladie génétique.
Face aux facteurs "risque" et "chance", la pièce dresse un tableau métaphorique de ce que pourrait être la vie de demain, en allant plus loin dans les expérimentations scientifiques et la lutte contre les déficiences. L’inégalité entre les êtres peut-elle être compensée par la science ? Faut-il mettre des limites ? Peut-on aller contre la nature ou utiliser ses vertus à bon escient ? Doit-on s’inspirer des OGM pour le corps humain ? Des questions graves sont abordées avec recul, tournées en dérision ou sublimées par la danse. Le ton n’est pas moralisateur mais permet, au contraire, de faire naître une multitude d’interrogations sur un sujet parfois tabou qui a peu d’aura médiatique, alors qu’il concernera les générations futures et s’invite déjà dans notre présent.
La peur de la mort illustrée par une comédienne qui tombe dès que ce mot est prononcé, un homme qui se transforme en sirène, des cris qui oscillent entre souffrance et folie, des humains qui ressemblent davantage à des robots… Le spectateur peut y voir l’absurdité de la course effrénée de l’Homme vers la longévité. "Ceux qui naissaient" rend compte de questions existentielles sans pathos ni manichéisme. Des faits réels sont évoqués, comme la possibilité de choisir les traits de son enfant (on le voit déjà aux Etats-Unis), le clonage ou encore la médecine anti-âge. Puis ces réalités sont extrapolées à travers l’invention d’un institut qui promet une forme d’immortalité. Une opération risquée, avec des individus totalement déshumanisés appelés par leurs numéros.
Dans cette atmosphère allégorique, teintée d’une lumière tamisée, tout est fait pour retenir notre attention. On ne décroche pas, on ne part pas dans des rêveries. La mise en scène est propre, travaillée et ciselée, tout en restant fluide. Une heure quinze de spectacle, juste ce qu’il faut pour éviter les longueurs, avec de bons ingrédients pour ponctuer la pièce : interventions dans le public, épisode musical rock’n’roll, chorégraphie poétique… La danse et le mouvement tiennent une place importante pour illustrer les capacités insoupçonnées du corps humain. Le jeu des interprètes sonne juste. Ces jeunes comédiens sont bluffants par leur naturel, ne manquant pas de nous surprendre lorsqu’ils viennent s’asseoir dans le public.
La réaction des spectateurs est enthousiaste. Pas besoin d’être un expert pour apprécier la pièce, même si la compagnie a su attirer des spécialistes en la matière. Déjà trois débats ont été organisés avec des scientifiques par Le Cri du Lombric. La troupe montpelliéraine jouera dans le Sud de la France au mois d’août et espère, à l’avenir, pouvoir présenter le spectacle dans des hôpitaux et des instituts, l’idée étant de faire avancer le débat en organisant des spectacles suivis de conférence.
"En France, le milieu de la recherche transgénique reste très encadré et tourne surtout autour de la question de la réparation, explique à la sortie du spectacle Marianne Griffon, co-metteuse en scène. Concernant l’amélioration de l’être humain, la peur de l’inconnu et le verrou éthique restent les principaux blocages. Pourtant, la recherche scientifique est en marche et tend vers cette direction".
Lauren Muyumba