Elle est à vous
25 avr. 2017
Spectacle de la compagnie Les Palétuviens (94), vu le 26 mars 2017, au Théâtre Saint-Léon à Paris (15e).
De: André Barde (livret) et Maurice Yvain (musique)
Adaptation : Hélène Haag, Stéphane Auduc, Jean-Sébastien Règue
Mise en scène et chorégraphie : Hélène Haag
Genre : Opérette en 3 actes
Public : Tout public
Durée : 1h50 (hors entracte)
"Elle est à vous" nous entraîne dans une atmosphère délurée où les surprises ne manquent pas. Non loin du théâtre de boulevard et du vaudeville, la pièce s’appuie sur un genre populaire avec des dialogues entrecoupés d’airs d’opéra. L’art de l’opérette ne se prive pas de second degré. Ce théâtre lyrique aux allures burlesques, parodiques et satiriques, reste un genre peu connu et l’association Les Palétuviens a le mérite de le mettre en lumière.
La troupe compte 60 personnes, musiciens compris. "Elle est à vous" est le fruit d’un travail collectif. Chacun a mis la main à la pâte. Les décors amateurs dessinent un tableau de type "trompe-l’œil" en arrière-plan. Plus réalistes, les costumes et accessoires nous font voyager dans le temps avec la beauté des robes du style années 1930. Les rideaux s’ouvrent et nous voici à la "belle époque".
Une belle époque qui n’est pas pour autant idéalisée par l’auteur, André Barde (1874-1945) qui critique ouvertement les rapports sociaux, leurs failles et faiblesses ; que ce soit dans le monde du travail ou dans le lit conjugal voire extraconjugal. Le déséquilibre entre "employés" et "patrons" est symbolisé par deux panneaux fléchés indiquant deux directions à prendre, deux trajectoires différentes. Les questions d’inégalité sociale sont également abordées avec l’opposition de l’Homme blanc et de l’Homme noir qu’incarne un professeur de conduite. Quant à la dimension comique, elle surgit au travers d’histoires de tromperies et de cocuage. Les ingrédients du vaudeville sont là. Du drame, de la poésie, une comédie légère fondée sur des malentendus et des quiproquos.
Le titre de l’opérette, "Elle est à vous", prend tout son sens lorsqu’on découvre le rôle central qu’occupe la femme dans ces histoires de liaisons. Un personnage d’une jeune ingénue émancipée. Une secrétaire amoureuse d’un mécano. Une femme qui trompe son mari, concessionnaire de voitures, avec l’un de ses subalternes. Quand il la surprendra dans une situation compromettante, il imposera alors aux deux tourtereaux de se marier : "Elle est à vous !", dira-t-il à son employé. Ce dernier connaîtra une ascension sociale grâce à sa passion pour la course automobile qui le placera en haut du podium.
Des personnages déjantés. Un texte qui permet d’en jouer. Une mise en scène éprise d’une certaine liberté (même si l’on ne comprend pas forcément les apparitions soudaines, pour le moins farfelues, de Tintin, Bécassine ou Charlot…). On y trouve du théâtre, du chant et même quelques pas de danse. L’opérette est un genre complet. Bien plus que de simples interludes musicaux, les paroles chantées arrivent dans la continuité des conversations et doivent être entendues pour cerner le sens de la pièce. Mais il n’est pas toujours évident de saisir correctement les mots prononcés, souvent dominés par la puissance de l’orchestre "en live" et peu audibles par manque d'articulation.
On se laisse malgré tout embarquer, même s’il peut falloir un certain temps pour rentrer totalement dans cet univers original et folklorique où les maladresses font parfois partie du jeu, sans que l’on sache toujours comment appréhender ce côté "décalé". En tout cas, le spectacle est le fruit d’un travail remarquable qui nous fait ressortir requinqué. Le public se met d’ailleurs à chanter l’une des chansons phares avec le refrain "pouet-pouet" tout en frappant des mains. Il faut dire que le compositeur Maurice Yvain (1891-1965) est connu pour sa précision rythmique et ses pièces fantaisistes aux influences jazzy mêlant fox-trot, charleston, java ou paso-doble.
Les Palétuviens ont déjà réalisé plusieurs représentations au Théâtre Saint-Léon pour y jouer un autre spectacle l’an dernier ("L'Oeuf à voiles"). Des sièges peu confortables, mais de l’espace avec une large scène, de nombreux rangs dans le public et un balcon. Dans la salle comble, les enfants restent minoritaires mais le fond et la forme de l’opérette "Elle est à vous" restent accessibles à tous. Les couleurs et les mouvements donnent une dynamique, même si l’on peut s’interroger sur la longueur du format : 50 minutes pour l’Acte 1 suivi d’un entracte, puis une heure pour l’Acte 2 et l’Acte 3 réunis. L’attention du spectateur peut parfois vaciller, mais la passion des chanteurs et comédiens brûle. L’orchestre, placé devant la scène, ponctue le spectacle et souligne les rebondissements dans une suite de notes entraînantes.
Lauren Muyumba