Derrière le Rideau

 

Spectacle de la compagnie Le Collectif Météore (75), vu le 13 mai 2017, à l’Aktéon Théâtre (Paris 11e).

 

Avec : Jules-Angelo Bigarnet, Thibault Jeanmougin, Perrine Marillier, Vincent Vespérant

Création collective


Genre : Comédie, Absurde
Public : Tout public
Durée : 1h10

 

Le Collectif Météore présente une création inédite ! La genèse de "Derrière le Rideau" sort du lot, tout comme la mise en scène. Le burlesque et la mise en abyme du théâtre dans le théâtre font quelques clins d’œil aux "Diablogues" de Dubillard. Mais pour le reste, place à l’imagination ! Dans cette œuvre singulière, l’improvisation est maître du jeu et se glisse partout, très subtilement, entre l’ossature et la contrainte inhérentes à l’exercice. Les répliques fusent. Les comédiens sont bons. Chaque soir s’annonce différent et à chaque fois la magie prend.

 

Les membres du quatuor ont les ingrédients pour présenter au menu un scénario exquis saupoudré d’absurde : des dettes trop lourdes, l’abandon d’un membre de la troupe, un spectacle à sauver, une rupture amoureuse… Ajoutez à cela une bonne dose d’humour et d’autodérision. L’an dernier, ils ont joué les "Diablogues" et "Nouveaux Diablogues" de Dubillard. Mais les droits d'auteur étant trop lourds à payer, ils ont dû opter pour une création. Tout en gardant le goût de l'absurde, les comédiens ont monté leur propre pièce, directement inspirée de leur vécu.

Le regard que portent ces quatre jeunes comédiens sur leur profession est loin d'être naïf. C’est l’œil aiguisé, et avec talent, qu’ils improvisent. Une prise de risque habile et réussie. L'occasion aussi pour eux de faire évoluer leurs personnages et leurs interactions après chaque représentation. La chansonnette de Perrine au début du spectacle ne sera pas la même tous les soirs. Jules s’emmêlera avec ses bretelles selon son inspiration du moment. Thibault fera le poulet sur ordre de Vincent ou non...

Les comédiens ont gardé leurs vrais prénoms sur scène, de quoi amincir encore un peu plus la fine membrane entre le réel et la fiction. Dans ce basculement entre réalité et rêverie, les spectateurs se retrouvent dès la première scène face à un personnage singulier et sans nom. Un clown aussi muet qu’attachant qui se prépare à entrer sur scène. Cette séquence s’attarde, avec quelques longueurs, sur le ridicule d’un comédien euphorique prenant plaisir à manier son image dans un élan égocentrique. La pratique du mime permet de grossir les traits sans y aller avec des pincettes, mais de manière élégante et cocasse, dans la démesure et l’extase.

 

"Il faut de la jeunesse, du dynamisme !" comme dirait le personnage du metteur en scène. Et c’est aussi l’un des grands atouts de la pièce : une fraîcheur particulièrement appréciable pour dépoussiérer quelques textes ou mises en scène attendues. Le principal personnage ne serait-il pas le théâtre lui-même ? Rien de mieux qu’une représentation vivante, qui reprend les codes tout en les bousculant, pour parler du spectacle… vivant. Déploiement des mouvements. Canalisation de l'énergie. Expressivité, travail de la diction, préparation physique et respiratoire, jeu de confiance avec son partenaire, comme on l’expérimente en école de théâtre. Sans oublier le "lâcher prise" et le "travail d’équipe", des mots qui reviennent souvent durant le spectacle. La notion de "projet commun" prend tout son sens dans cette création collective, éprise de liberté.

La troupe ose transpercer le filtre invisible qui la sépare du public. Une femme assise au premier rang aide à plier un drap, le metteur en scène (fictif) hautain et misogyne s’installe un instant parmi le public pour clamer ses indications scéniques… Le public devient lui aussi personnage à part entière au moment où les comédiens se rendent compte qu’ils sont regardés. Cette stupeur se traduit par un tableau où le mouvement des corps au ralenti devient une véritable prestation.

Les comédiens ont su user de leur formation classique, du jeu corporel et de la méthode Stanislavski, mère de l'Actors Studio, pour transgresser les règles et prendre des risques. L’envers du décor et les travers de la profession ne sont pas épargnés, à l’instar du metteur en scène fictif qui se donne le premier rôle. Sous prétexte d’aider les comédiens à sauver la pièce, il leur vole la vedette. Son exigence dérive vers une forme de tyrannie, allant jusqu’à abuser des comédiens qu’il dirige. L’intimité pour lui n’a pas de limite. La pièce pose avec finesse des questions philosophiques sur le théâtre : faut-il puiser dans son vécu quand on est comédien ou se dissocier le plus possible de son personnage ? Est-ce que tout est permis pour faire ressortir une émotion à tout prix ? Certains metteurs en scène vont-ils trop loin ?
 

Tout au long du spectacle, le caractère comique s’estompe parfois pour faire place à l’émotion. Les séquences musicales avec les ombres des personnages derrière le rideau, peuvent donner une dimension cinématographique puissante. L’esprit s’évade avec quelques notes de musiques espagnoles. L’imagination se déploie, comme un retour à l’enfance. Deux bras avec un doigt qui pointe derrière le tissu, suffisent à figurer les aiguilles d’une horloge. La petite scène de l’Aktéon Théâtre s’adapte parfaitement au décor minimaliste où un drap, une table ou une malle suffisent amplement. Seul inconvénient pour les spectateurs assis au centre : la présence d’un poteau (mais les comédiens ont su saisir la perche pour en faire une boutade).

Le public est particulièrement réceptif. Certains spectateurs sont même déjà venus plusieurs fois. L’improvisation offre cet avantage de pouvoir retourner voir la pièce, rire de nouveau et se laisser surprendre. L'exercice contient à la fois un aspect artisanal et grandement professionnel. Ce sont de petites mains qui se sont attaquées à un travail colossal, une préparation presque invisible, tellement les personnages se répondent de manière naturelle. Et ils ne sont pas prêts de stopper là les expérimentations. Après tout, c’est bien cela le spectacle vivant ! Ils joueront à l'île de Ré chez des particuliers cet été au mois d’août.

 

Lauren Muyumba

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