A la maison

 

©Lauren Muyumba

 

Spectacle de la Compagnie CECI CELA (94), coproduction Phare Away productions et Compagnie des Ondes, vu le 17 juillet 2017, Festival Avignon OFF, Les Ateliers d’Amphoux (Salle de l’Acte).

 

Avec : Denise Aron-Schröpfer

Mise en scène : Cédrick Lanoë

 

Genre : Théâtre
Public : Tout public
Durée : 1h


"À la maison" est un petit bijou dans le paysage éclectique du Festival d’Avignon. Durant cette parenthèse intime, la vie de Lucienne nous est comptée, sans détour, sans cacher les difficultés qu’elle rencontre en maison de retraite. Malgré la chute et son appel à l’aide dès son entrée en scène, il ne s’agit pas de se lamenter mais au contraire, de se relever : partager, transmettre, s’enivrer… "Les bons souvenirs font vivre", comme elle aime à le répéter.   

Ce que l’on retient en sortant du spectacle, c’est d’abord le sourire de Lucienne, incarnée avec justesse et délice par Denise Aron-Schröpfer. L’émotion est au rendez-vous. L’humour et la fraîcheur aussi. Alors ne vous fiez pas aux apparences : un monologue, une femme âgée en maison de retraite… mais surtout des yeux qui pétillent. Lucienne nous raconte sa vie, loin des monologues soporifiques. Elle nous entraîne dans son univers, au son de sa voix, de ses chansons et parfois même de son accordéon. On se laisse transporter avec légèreté par ce personnage aux airs si familiers et à la personnalité attachante. 
Attendez-vous à vous assoir comme si vous preniez le thé, sans voir le temps passer. L'œuvre d’Alain Lahaye porte bien son nom : on se sent comme "à la maison" dans cette pièce où le spectateur tient aussi le rôle de confident. Etonnant que l’auteur soit un homme, tant les mots semblent tout droit sortis du journal intime d'une femme. Face à la sincérité des confidences, on pourrait tout aussi bien se trouver chez le psy. Mais la mémoire de Lucienne ne nous perd pas dans les méandres de la complexité et des névroses de l’âme humaine. Au contraire, tout est dit avec simplicité, drôlerie, naturel et douceur. "
À la maison" ce n’est pas seulement les confidences d’une personne âgée, c’est une vraie leçon de vie, la quête du bonheur, pour tous et à tout âge.

Le lieu minimaliste est parfaitement adapté à ce monologue où le texte est adressé de manière directe aux spectateurs. Lucienne n’hésite pas impliquer le public, en partageant ses propres interrogations. Nous pouvons croire, le temps d’une heure, être en train de dialoguer avec notre grand-mère dans cette petite salle intimiste des Ateliers d’Amphoux. Le charme des murs de pierre situés au sous-sol a des allures de cave à vin. Et cela tombe bien puisque la comédienne nous fait goûter, au beau milieu du spectacle, au bon cru du Sang du Peuple des caves Jamet & Fils issues de la région avignonnaise...
La mise en scène met en lumière avec finesse un sujet peu traité au théâtre, en s’appuyant sur un texte empreint de vérités qui dépeint à la fois des évidences et des absurdités, comme le coût faramineux des maisons de retraite ou le lourd fardeau de "l’indifférence". Mais Lucienne ne reste pas enfermée dans le présent et partage avec le public ses moments d’évasion. Un bond dans le passé. Un regard nostalgique pas pour autant désabusé. "C’est quand même bien d’être en 2017", dit-elle en racontant qu’elle y voit plus clair depuis qu’elle s’est fait opérer de la cataracte.
L’ambivalence des sentiments, qui basculent entre amertume et gratitude, ne l’empêche pas de tenir debout. Même si la réalité du quotidien avec les infirmières n’est pas toujours joyeuse, Lucienne témoigne également du respect qu’elle a pour la profession. Vieillir, c’est aussi apprendre à "subir" et à vivre avec le sentiment d’impuissance. Le personnage oscille entre son envie d’indépendance, son désir de se débrouiller seule, de se retrouver "dans ses meubles" et le besoin irrépressible d’avoir de la compagnie, de discuter, de se livrer…

Les souvenirs de cette femme volontaire l’aident aussi à tenir. Lucienne prend un savoureux plaisir à parler de ses amitiés et de l’amour de sa vie. C’est surtout en pensant à lui qu’elle ne se "laisse pas démonter", avoue-t-elle. Certains "se débarrassent de leurs proches" en les envoyant en maison de retraite. Lucienne, elle, n’a pas eu d’enfant et a dû se familiariser avec le sentiment de solitude après la mort de son compagnon. Elle n’a plus son chat pour combler le manque et l’absence, et ce n’est pas son voisin de chambre, cet inconnu qui met le son de la télévision trop fort à cause de sa surdité, qui va l’aider à vaincre l’ennui… En revanche, Lucienne a un trésor, le meilleur de tous les médicaments : ses passions et sa joie de vivre.   
Ce portrait de femme va à l’encontre des préjugés, au vu de sa vivacité et de sa jeunesse d’esprit. Lucienne nous fait partager son goût des autres, de la musique, de la poésie et des livres qu’elle dévore en fidèle "blibliovore" qu’elle a toujours été... Cette femme, dont l’esprit vif est insatiable, ne se prive pas de danser ni d’allumer sa boule à facettes pour une séquence musicale. Et malgré des notes (pas toujours justes) elle nous entraîne dans son tourbillon d’émotion et de souvenirs.
"Merci de m’avoir écoutée", tels sont les mots de la fin faisant écho à la sensation de déranger ou d’être de trop. Malgré le sentiment de délaissement, Lucienne sait se faire apprécier et l’on ne peut rester indifférent à la joie qu’elle transmet. D’ailleurs, les "bravo" des spectateurs ne se font pas attendre et ils lui répondent à leur tour "merci".

Lauren Muyumba

Retour à l'accueil