Qu'on rouvre les fenêtres !
23 juil. 2017

Spectacle de la Compagnie Anda Jaleo (69), vu le 17 juillet 2017, Festival Avignon OFF, Théâtre Alizé.
Ecriture, mise en scène et jeu : Solène Angeloni, Jean Lacroix, Mathilde Ménager
Musique : Solène Angeloni et François Robert
Chorégraphies : Mathilde Ménager
Genre : Théâtre, Danse
Public : Tout public
Durée : 1h
"Qu’on rouvre les fenêtres !" est un retour aux racines, une invitation à mieux connaître son histoire, non pas pour s’enfermer mais davantage s’ouvrir au monde. Les trois jeunes comédiens, à la fois auteurs et metteurs en scène, investissent avec brio et ferveur leurs personnages. Ils sont Français. Leurs ancêtres sont Espagnols. Et leur passé familial reste une énigme.
Cette création, écrite à partir de témoignages de descendants d'immigrés, rend compte avec finesse d’un sujet brûlant d’actualité : l’identité. Les trois personnages entendent bien briser ce tabou, non pas pour parler d’intégration ou d’assimilation mais plutôt de transmission. Ils ont simplement "besoin de recoller les morceaux", ceux de l’Histoire et de leur propre histoire, souvent imbriqués. Un thème sensible où se mélange les sentiments de fierté, d’euphorie ou de rage.
Evoluant entre excitation, ressentiments et questionnements, ces jeunes refusent de laisser parler la petite voix qui dirait "quelle importance ?", que l’on entend en boucle en voix off dès le début du spectacle. Ils croient en la nécessité de "savoir d’où l’on vient". Alors ils cherchent, s’interrogent, se souviennent et nous racontent des bribes de ce qu’on leur a à eux-mêmes raconté. Mais ils devront faire face à un constat amer : "je ne sais pas d’où je viens". Au-delà des histoires individuelles, la pièce souligne la portée universelle de la transmission intergénérationnelle et son importance dans "un monde qui a perdu sa mémoire".
Le spectacle commence avec intensité : lumière tamisée, piétinement des comédiens, gestes répétitifs, voix off tournant en boucle "je ne sais pas quoi raconter"… En fouillant dans le passé, le trio évoque notamment la période franquiste. Leur obstination touchante les pousse à faire jaillir des fardeaux parfois lourds à porter, des blessures inconscientes, refoulées génération après génération et pourtant bien réelles. Mais les larmes ne prennent pas le dessus. La parole se libère et laisse place à l’enthousiasme. Les personnages ont soif de connaissance, leurs anecdotes fusent, leurs souvenirs remontent et parfois les submergent.
Dans cette quête identitaire, ils semblent être partis à la recherche d’un trésor. Ils ouvrent d’ailleurs une malle, telle un coffre-fort, pour en ressortir des objets rattachés à des souvenirs : une poupée de flamenco, une poêle, un bateau miniature… Cet attachement matérialiste suscite une joie immense qui pourrait être risible. Mais ces objets ont une histoire et une valeur sentimentale auxquelles ils peuvent se raccrocher. Ce besoin d’appartenance et cette nécessité d’avoir "quelque chose à raconter" ne semblent pas les quitter une seconde, hormis lorsqu’ils dansent durant les transitions musicales et les intervalles de silence.
Le spectacle n’a rien de plombant. Au contraire, on ressent le bol d’air frais qu’évoque le titre "Qu’on rouvre les fenêtres !". Dépoussiérer le passé, aérer l’atmosphère, s’éclaircir la mémoire et faire entrer la lumière pour mieux avancer. Un joli méli-mélo de danse, de théâtre, de chant et de musiques sélectionnées ou composées avec soin. Les anecdotes racontées par les trois personnages sont entrecoupées de séquences poétiques, travaillées et esthétiques (malgré quelques longueurs) : gestuelle ample et répétitive des mouvements de danse ; balancement de bras qui s’ouvrent au rythme d’une respiration cadencée ; beauté d’un lancer de photos qui recouvrent tout le plateau ; sable sur le sol balayé avec les mains qui évoque ce retour aux racines ; chant d’une des comédiennes qui nous envoûte...
Le public est conquis et applaudit chaleureusement les comédiens. Quant au lieu, les sièges sont confortables, la scène est grande et assez large pour accueillir tous les papiers lancés en l’air sur lesquels ont été imprimées les photos (une quantité impressionnante !).
Lauren Muyumba