"Le Faiseur" d'Honoré Balzac
02 oct. 2017
Les Spectacle de la compagnie Les Tréteaux de France, vu le samedi 10 Juin au Théâtre de Verdure à Pézenas, dans le cadre du festival Molière.
Mise en scène : Robin Renucci
Avec : Judith d'Aleazzo, Tariq Bettahar, Jeanne Brouaye ou Jeanne Cohendy (en alternance), Bruno Cadillon, Daniel Carraz, Gérard Chabanier, Thomas Fitterer ou Julien Renon (en alternance), Sylvain Méallet, Patrick Palmero et Stéphanie Ruaux
Chronique plurielle et populaire construite par Flavia Perez
Brigade constituée de : Jean-Luc, Sinath, Annie, Pascalle, Medhi, Eliska, Isabelle, Valérie, et Jacqueline.
Au programme de ce samedi soir : "Le faiseur", de Balzac : moi, l’inculte en littérature qui ne connais de lui que son nom, je découvre sur le dépliant que cette "comédie grinçante" sera jouée par la compagnie "Les Tréteaux de France" et mise en scène par Robin Renucci, parrain du 9ème Festival Molière de Pézenas. Le premier sous le quinquennat de Macron. Un hasard ? Après avoir rencontré l’artiste passionné, et humainement engagé, le matin même au théâtre historique de la ville lors de sa "carte blanche", me voici prenant place dans l’amphithéâtre bordé de végétation luxuriante, écrin au charme pastoral du parc municipal "Sans soucis". Fauteuils-coquilles en plastique accueillent mieux que le ciment les quelques 200 séants qui accompagnent le mien. Il faudra juste bien choisir son endroit car les oiseaux se délestant copieusement, la place n’est pas nette. Sur la scène apparaîtront alors durant 2 heures les comédiens qui joueront avec le public un double rôle : d’abord personnages acteurs de cette comédie qui, presque prémonitoire, évoque les dérives d’un monde capitaliste où le pouvoir de l’argent inspire certains à profiter de leur prochain sans remords ni limites. Ils joueront aussi des rôles de trublions tapageurs, accessoiristes et témoins de la farce qui se déroule. Mariage arrangé et pirouettes spéculatives servent de trame à cette histoire qui s’apparente à du Molière aux contextes et dialogues presque contemporains. C’est beau à voir ; décors et éclairages sont enchanteurs. Les costumes sont splendides et empruntent à la bande dessinée leur apport exagéré et comique. Un parquet noir à la française (comme un tapis surélevé qui donne l’impression, quand les protagonistes s’y invitent, ou le quittent, de repousser les limites de l’espace) jouxte un lustre de cristal posé au sol, une toile de maître et quelques meubles errant parfois jusque dans les coulisses apparentes. Toutes les sources d’éclairage sont sur la scène : projecteurs habilement déguisés en appliques murales, très visibles et efficaces, grandes fenêtres aux couleurs changeantes et des rampes de petits spots cachés dans les malles-décors qui demeureront à l’avant du plateau ; je ne les découvrirai qu’après la fin du spectacle ! Il a fallu attendre 22 heures et la nuit pour jouer cette pièce, et cela va laisser des traces dans le public, dont moi-même : perdant peu à peu le fil de l’histoire, je pique du nez subrepticement trois fois durant la dernière demi-heure menant à un final où je ne comprends du coup pas tout. Minuit a sonné ; je me dis que c’était peut-être un peu long, où qu’il aurait fallu présenter cette œuvre plus tôt dans la soirée. Oui mais alors, il n’aurait pas fait nuit, et on aurait dû la jouer en salle, ce qui n’aurait rien eu à voir avec la magie de ce moment ! Huit jours plus tard, en France, le parti politique libéral "En Marche" vient de remporter les élections législatives avec une large majorité qui me fait craindre de graves dérives quant à la répartition des richesses et l’existence future des protections sociales acquises depuis un siècle. Ok, je note : Balzac=lanceur d’alerte ! Jean-Luc
A la base, je n’attendais rien de particulier, je venais sans a priori. Question accueil, tout était bien organisé. J’étais au premier rang, ce qui n’est pas dans mes habitudes. J’ai trouvé intéressant le décalage entre dialogue moderne et costumes d’époque. L’histoire m’a paru crédible comme dans la vie elle-même, c’était riche de bonnes ou mauvaises surprises, riche en rebondissements. J’ai eu l’impression de découvrir l’ambiance des privilégiés et le monde des affaires. Il y avait des allusions à la politique et à la corruption. Tout cela m’est complètement inconnu même si j’ai eu une impression de déjà vu. Chacun a besoin de vivre, à son échelle, dans le monde du paraître. C’est le problème de la surconsommation, le culte de l’argent qui bafoue les valeurs humaines encore à notre époque. Je me suis laissée embarquer du début jusqu’à la fin par un rythme entraînant. J’étais en interaction avec le jeu des acteurs. J’ai éprouvé un réel plaisir à être là ce soir. Je me sens comme enrichie, embarquée du début à la fin, j’ai perdu la notion du temps. J’ai pris un énorme plaisir à assister à ce spectacle car je me sentais disposée à rester jusqu’au bout. A aucun moment, je n’ai ressenti de l’ennui. Je me suis régalée. Sinath
Dans une ambiance estivale au cœur de mes envies, j'ai eu beaucoup de joie à me préparer pour me rendre dans la belle ville de Pézenas ; une promenade de fin de soirée qui m'amena avec un dilettantisme très vacancier vers le théâtre de verdure du Parc Sans souci ! Un réel cadeau qui s'offrait à moi. Imprégnée de la douceur du soir, et immergée sous la voûte céleste d'un début d'été, je ne fais pas trop cas de la noirceur des sièges... Oh fauteuils ! nous accueillant gentiment pour notre plus grand plaisir ! Nous sommes nombreux à nous inviter sur ces fauteuils dont nous balayons maladroitement d'un revers de main les graines de vie paysagères. Entourés d'arbres bienfaiteurs, bercés par les chants des premiers grillons et sous le regard lumineux des étoiles, nous attendons le début de la pièce de théâtre, observant avec curiosité la mise en scène de la décoration d'un intérieur cossu du XVIIIe. Dès les premières minutes, je suis captivée par la présence de ces nombreux comédiens et notamment d'un certain personnage nommé Mercadet. Interpellant le public comme un énième personnage de scène, mon écoute est aussi mise en scène. Associée à la loufoquerie de ce personnage haut en couleur par sa tenue vestimentaire mais également par sa verve pertinente, je me sens dans la connivence de Mr Mercadet. Le public approuve lui aussi et manifeste sa complicité avec enthousiasme par des rires et des applaudissements : les clins d’œil avec l'actualité politique du XXI siècle s'ajoutent aux connivences des situations théâtralisées.Sentir le lien de réponse de l'auditoire me donne de l'espoir dans l'avènement politique chaotique 2017. Je perçois la sagesse des personnes présentes : elles ne sont pas dupes de la déchéance politique de nos élus actuels ! Sous couvert des mots et analyses issus d'un autre temps, Balzac crie à haute voix les prémices de nos difficultés sociétales qui perdurent donc depuis la création du crédit… Cette évidence est renforcée par la belle prestance des 10 comédiens en présence, dont la diction et les intonations de plus bel effet, me subjuguent. Je suis tour à tour envoûtée de plaisir et scandalisée de honte, au rythme des jeux scéniques me faisant suivre avec brio, le dédale des affaires financières de ce haut personnage qu'est Mr Mercadet. Cette pièce est en mouvement de vie perpétuel ; il y a du suspense, des retournements de situations, de magnifiques costumes d'époque, de belles phrases, de belles voix... Je suis conquise ! Je ressens un tel enthousiasme que je souhaite ardemment parler de cette pièce, j'ai besoin de dire le plaisir ressenti et la force reçue… La frustration est pourtant au rendez-vous ! Annie
Le spectacle est à 22 heures. Il se fait un peu tard, mais c’est avec plaisir que je m’y rends. J’adore le parc "sans souci", je m’y sens sereine. Je ne connais pas bien Balzac, j’ai, si ma mémoire est bonne, lu "Le Père Goriot" et "La cousine Bette" qui ne m’ont pas vraiment laissé d’empreintes. Donc je suis en état de découverte. On nous installe, l’accueil est sympa puis on nous change de place pour combler le vide, les chaises sont très sales (dégueulasses même) et ça ne fait pas plaisir. Le spectacle commence, je pique un peu du nez par moment et j’ai mal aux fesses, c’est un peu long. Le petit truc qui m’empêche de sombrer ce sont les comédiens en aparté (effet comique) et le chant des cygnes. Onze comédiens, beaux costumes, les filles sont des fois à peine audibles. Une pièce moliéresque avec l’intrigue de jeunes amoureux que le père ne destine pas puisque le jeune homme est pauvre. Cette pièce n’est pas très morale puisque le profiteur (le père) fait du profit malgré toutes ses entourloupes et sa mauvaise foi. Tout est bien qui finit bien, le pauvre devient riche et épouse son amoureuse. Pascalle
Juste avant d’arriver, nous étions bien, avec l’envie de voir quelque chose d’agréable. En arrivant sur les lieux, nous avons découvert le site : le théâtre de verdure de Pézenas. Il nous a paru plutôt bien avec ses gradins au milieu du parc. Le spectacle commence, nous ne nous sentons pas concernés, les dialogues trop difficiles à comprendre nous ont vite fait décrocher. Il en découle un sentiment d’indifférence, l’impression que rien ne nous touche. Hormis les décors, nous n’avons que peu d’intérêt pour cette pièce dont la durée nous a paru excessivement longue. De ce fait, il nous est très difficile d’en dire quelque chose. Medhi et Eliska
La perspective d’une soirée au Théâtre de Verdure, cet espace extérieur niché au cœur du parc municipal de Pézenas, me ravissait après une journée caniculaire. J’étais enthousiaste à l’idée de découvrir "Le Faiseur" cette pièce d’Honoré de Balzac mise en scène par Robin Renucci. L’histoire est celle du banquier Mercadet, un affairiste au bord de la ruine qui se joue de toutes et de tous – amis, épouse, fille, créanciers – pour se sortir de ses dettes. Le personnage, rusé, menteur, est un véritable virtuose virevoltant et je suis séduite par le formidable jeu du comédien qui l’incarne. Initialement étonnée je finis par goûter à la subtile mise en scène : encadrant un espace relativement vide censé représenter le salon de la famille Mercadet, seul le lustre de cristal posé un peu à l’écart sur le sol suggère l’aisance bourgeoise. Sur cet espace les acteurs entrent et sortent dans une sorte de ronde. Lorsqu’ils quittent le plateau les acteurs s’installent de part et d’autre. A gauche les créanciers et amis prennent place dans des fauteuils et canapés, tandis que famille et personnel de maison se placent sur la droite du plateau. Ils sont ainsi aux loges d’une scène dont ils sont absents mais partie prenante. Les costumes, superbes, nous plongent dans la fin de la première moitié du 19ème siècle dans cette histoire si bien écrite et terriblement moderne tant le sujet est d’actualité : la spéculation et le libéralisme économique. Modernité du texte, mise en scène enlevée et qualité du jeu des acteurs, j’ai ri, souri, grincé des dents et savouré l’ensemble. Isabelle
En guise de prologue, je pourrais me justifier, sans "vouloir baratiner" les potentiels lecteurs d’une journée de travail démarrée très tôt. A mon arrivée sur les lieux, je me retrouve dans un état de fatigue à la limite de l’endormissement. Le contexte ainsi évoqué, me voilà assise dans mon "fauteuil" en pleine nature. Le lieu m’apporte l’oxygène nécessaire pour rester éveillée. Si ma mémoire est bonne, Balzac m’avait laissé un bon ressenti. L’intrigue et le dialogue de ce Vaudeville finissent par me perdre même si le jeu des acteurs percutant retient mon attention. Les dérives de la spéculation et les situations perverses négatives qu’elles entraînent sont peut-être trop loin de mon univers et ne me donnent aucun intérêt. Même si cet état de fait a été finement dénoncé, il n’en reste pas moins que tout ce qui est relatif à l’argent reste pour moi une planète lointaine où le simple fait d’y penser déclenche chez moi des réactions primaires. L’intérêt somme toute de cette pièce se révélera pour moi dans "l’obligation d’une révision de mon ressenti" et l’envie de décrypter la mise en scène ingénieuse qui dénonce avec brio le côté absurde et cynique d’une époque qui, malheureusement, ne me semble pas révolue. Valérie
Précédé des noms prestigieux de Robin Renucci, le metteur en scène, et des Tréteaux de France, la troupe, "Le Faiseur" de Balzac s'annonçait comme le joyau du 9ème festival "Molière, le théâtre dans tous ses éclats". Cependant, quelques inquiétudes agitaient mon esprit sur le chemin du Parc Sans Souci, cadre verdoyant du spectacle : n'allais-je pas m'ennuyer, avec ce romancier bavard, promu auteur dramatique ? Pleuvrait-il sur le décor bourgeois qu'on pouvait déjà imaginer ? La Nature respecterait-elle la Culture ? Les moustiques piqueraient-ils ? Les canards et les grenouilles du bassin joueraient-ils leur partition ? La magie du théâtre fait vite oublier ces questions. Le décor unique et curieusement dépouillé d'un salon permet de concentrer l'attention sur les acteurs. La part belle est faite au rôle-titre : le Faiseur, Mercadet, spéculateur, brasseur d'affaires, se montre d'un cynisme effrayant à l'égard de tous, dans son millieu familial aussi bien que professionnel. Ce rôle pourrait être tragique, mais auteur et acteur le tirent vers la caricature. Mercadet se vante de ses trafics, se glorifie de son absence de scrupules, cherche la complicité du public par des apartés et par une série d'aphorismes cyniques et réussit à nous faire rire. Des pauses apportent un peu de fraîcheur dans ces moments où la morale est bousculée. Comme dans certains romans de Balzac ("Eugénie Grandet") ou certaines pièces de Molière, apparaît une jeune fille touchante. Julie Mercadet est la fille du Faiseur. Moquée par son père et par les serviteurs, elle nous émeut plus qu'elle ne nous fait rire, en dépit de son physique ingrat et de son nez à la Cyrano. Quoique amoureuse, elle est lucide et solidaire de sa famille, et son avenir nous inquiète. Madame Mercadet n'a pas le cynisme de son époux, veut le bonheur de sa fille, essaie de ramener à la raison cet homme aveuglé par la passion ravageuse des affaires. La servante exploitée, à qui Mercadet doit de l'argent et qu'il berce de promesses, nous touche par son discours, où elle se montre lucide, mais aussi crédule et solidaire face aux affirmations habiles de son maître. Au cours de la pièce on voit défiler une série de visiteurs, personnages caricaturaux dignes des dessins et des modelages de Daumier : le propriétaire de Mercadet, ses banquiers et créanciers, un futur gendre fortuné, malicieusement différenciés par la couleur de leurs cheveux et de leurs vêtements, tous cyniques à leur façon, et qui affrontent le cynisme du Faiseur. On a vu des pièces classiques jouées en costumes contemporains. Rendons grâce aux Tréteaux de France d'avoir accordé un soin méticuleux aux costumes visiblement inspirés de gravures du 19ème siècle. Détailler les manches de mousseline, les vastes jupes, les taffetas et les dentelles est un plaisir pour les spectatrices. Un même travail est fait pour les costumes masculins, depuis la somptueuse robe de chambre du maître, jusqu'aux aux costumes colorés et différenciés des visiteurs. Une mention spéciale pour les perruques masculines, brunes, blanches, jaunes ou grises, souvent ébouriffées, qui permettent de faire jouer plusieurs rôles à un même interprète : lorsque les acteurs saluent à la fin, on les trouve moins nombreux que ceux qui ont défilé dans le salon. On pense souvent à Molière pendant cette pièce. On y pense aussi au moment du dénouement, et on évoque la critique de Musset que l'on peut ici appliquer à Balzac, incapable de "servir à point un dénouement bien cuit". On reste incrédule devant la fin optimiste qui voit Rodolphe, le soupirant sincère et pauvre, devenir un riche héritier et résoudre ainsi les problèmes de la famille. Ce spectacle bien enlevé n'a pas provoqué l'ennui, mais au contraire beaucoup de rires dans le public, qui s'est amusé de voir Mercadet, tel un culbuto, retrouver son équilibre après chaque heurt avec la réalité et manifester une imagination encore plus féconde. La Nature a respecté la Culture : dans un silence complice, elle a laissé les spectateurs communier dans l'amour du théâtre, si bien servi ce soir-là par Robin Renucci et ses merveilleux acteurs. Et j'avoue que m'est venue une curiosité : celle d'essayer de découvrir l'apport de l'adaptateur contemporain en lisant le texte original de l'illustre romancier. Jacqueline