Les folles - Points de croix

 

Spectacle de la compagnie La Mue/tte (54), vu au Mouffetard, théâtre des arts de la marionnette, Paris 5e, le 17/10/2017.

Regard extérieur : Amélie Patard
Conception : Delphine Bardot et Santiago Moreno
Interprétation :  Delphine Bardot

Genre : Marionnette
Public : Adulte

Durée : 35 minutes

D’habitude, j’évite les spectacles de marionnettes. Non que je leur en veuille, aux marionnettes, mais je ne parviens pas à faire abstraction de la manipulation. "Les folles" - par le sujet traité - m’ont poussée à commettre cette exception et j’ai bien fait.

Avertissement : mon compte rendu doit être lu avec précaution. "Les folles" est le titre générique d’un triptyque qui comporte le spectacle "Points de croix", suivi d’une petite exposition durant l’entracte qui précède le second spectacle "Silencio es salud". N’ayant pas bien compris le dispositif à la réservation, je n’ai pu assister qu’aux deux tiers du programme. Aussi, ne parlerai-je que de "Points de croix", suffisamment convaincant pour que j’aie envie de le chroniquer.

Le Mouffetard, théâtre des arts de la marionnette, offre une bien jolie salle à cet art encore trop confidentiel. La jauge, d’environ 150 places, était presque pleine d’un public, ô miracle, plutôt jeune. Le plateau est petit mais convient à merveille à ce petit bijou, tout resserré dans sa forme mais si vaste dans son évocation de l’Histoire.
La petite histoire, c’est celle d’une modeste couturière de Buenos Aires qui, par la force des choses, va être confrontée à l’Histoire - la dictature et ses 30 000 disparus. Sans un mot mais par la seule force des objets, du son, de la lumière et du jeu, la comédienne nous raconte le combat de ces Mères qui, tous les jeudis, manifestent sur la Place de Mai, pour réclamer leurs disparus. Aux yeux de la dictature, ces mères courages en fichu blanc sont des "folles". Et l’on comprend mieux le titre générique du triptyque.

Pour évoquer tous ces disparus, le spectacle use, comme souvent, de projections. Mais pour donner corps à toutes ces vies prématurément disparues, l’artiste-solo a, de façon tout à fait originale, brodé les traits des visages. En tirant sur les fils de la broderie, le visage se reconstitue, évanescent, puis en plaçant le cadre sur son propre visage tel qu’elle le ferait d’un masque, la comédienne redonne vie à toute la personne. On comprend mieux à présent le sens du titre et l’on commence à se faire une petite idée du bijou d’ingéniosité qu’est ce spectacle.
Dans cette grande économie de moyens - une table, une chaise, une machine à coudre, un mannequin, un vague rideau, un vieux poste de radio et un vieux tourne-disque - chaque objet a sa place et son sens. Chacun, magnifié par la bande-son et la lumière, s’anime au gré de la narration. Ainsi du tourne-disque : la comédienne y dépose une petite bonne femme miniature. Elle tourne en rond comme le faisaient les manifestantes sur la place tandis qu’un projecteur, habilement placé, projette sur le drap, non seulement la silhouette agrandie de la marionnette mais encore celle de sa pancarte d’où l’on voit surgir le visage du disparu.
On pourrait multiplier les exemples. Je ne parlerai que d’une autre image pour montrer la maîtrise des différentes échelles. Après, la miniature apparaît une sorte de géant : la marionnette, sous forme de costume, prolonge le buste et la tête de la comédienne pour dresser un personnage inquiétant et méchant, un militaire. La vareuse s’ouvre et dans une lumière rouge, apparaît un visage au rictus effrayant, un "Cri".

Le spectacle "Points de croix" est tout autant un spectacle de marionnettes que du théâtre d’objets. Avec une grande intelligence esthétique et beaucoup de pudeur, "Points de croix" prouve qu’une toute petite forme peut créer l’évènement et rendre compte des pires soubresauts de l’Histoire.

Catherine Wolff

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