Bosch Dreams
22 déc. 2017
Un spectacle produit par la compagnie les 7 doigts de la main (Québec), vu le 9 décembre 2017 à l’espace chapiteau de la Villette.
Mise en scène : Samuel Tétréault
Texte : Samuel Tétréault, Martin Tulinius, Simon Boberg
Interprétation : Vladimir Amigo, Héloïse Bourgeois, Sunniva Byvard, Evelyne Lamontagne, Mathias Umearus, Rémy Ouellet, Mathias Reymo
Genre : Cirque
Public : Tout public
Durée : 1h30
C’est si triste une compagnie qui tombe de son piédestal. C’est ce qui vient de nous arriver, à mes filles et à moi, avec la compagnie circassienne canadienne des 7 doigts de la main qui présentait à Paris "Bosch Dreams".
"Bosch Dreams" est un hommage au peintre Hieronymus Bosch dont on fête cette année le 500e anniversaire de la mort. Le spectacle est une variation autour de son œuvre majeure, "Le Jardin des délices". Quelle splendide idée, propre au plus beau délire circassien.
Ils sont sept sur scènes assistés de quatre techniciens. Il n’en faut pas moins, de techniciens, pour manipuler un dispositif scénique qui relève plus du cinéma que du spectacle vivant. Un double système de cyclo permet la projection de l’œuvre, en grand, en détail et même en animation. L’espace est comme démultiplié et les circassiens, comme par magie, s’inscrivent et évoluent au cœur même des tableaux. Ceux-ci s’enchaînent à mesure que notre Monsieur Loyal, métamorphosé pour l’occasion en professeur d’Histoire de l’art, nous prodigue sa conférence.
Les numéros illustrent un détail du tableau ou sont une mise en espace d’une autre œuvre du maître. Ils reposent sur quelques agrès – jongle, équilibre sur cannes, roue cyr, trapèze ballant, mât chinois, acrobaties. Ils sont d’une maîtrises absolue. Ils sont entrecoupés d’intermèdes variés : soit un morceau de conférence, soit la relation de notre conférencier à sa petite fille qui semble vivre intérieurement l’œuvre sur laquelle travaille son papa, soit une scène vaguement moyenâgeuse où les comédiens évoluent masqués comme dans "Le Jardin des délices".
Ces dernières scènes constituent le premier hiatus. Elles se voudraient mystérieuses. Elles sont simplement lentes et ennuyeuses. Car il y a un sérieux problème de rythme dans ce spectacle. Il s’explique sans doute par la nécessité d’installer les agrès. Alors, on comble le temps par des scènes de piètre intérêt narratif ou par des projections qui s’étirent sérieusement en longueur. Nous avons pensé maintes fois partir, seulement retenues par l’attente du numéro.
Je croyais naïvement que c’en était fini, dans le cirque contemporain, de cette mise en valeur du numéro individuel. Ils sont tous parfaits, du reste, mais tellement saturés d’images et de musique qu’on ne ressent plus rien. Et c’est bien là le principal reproche que je ferais au spectacle. Trop d’effets spéciaux en tuent l’essence même. Peut-on d’ailleurs encore parler de spectacle vivant quand le narrateur s’adresse au public en play-back ; quand le rapport au corps, à la chair sont à ce point oblitérés par un virtuel envahissant? Finalement seules les trois dernières scènes, plus collectives, plus délirantes, parviennent à trouver un équilibre entre le vivant et le virtuel et sauvent la donne.
Le spectacle est une réussite esthétique indéniable qui donne bien à voir l’intégralité de l’œuvre de Hieronymus Bosch. Mais cette nouvelle mode qui consiste à transformer le plateau en salle de projection (c’est le deuxième spectacle de la sorte que je vois en deux mois) tend à faire disparaître l’humain de son domaine, le spectacle vivant. The show must go on mais, désormais, ce sera sans moi.
Catherine Wolff