Eden
22 déc. 2017
Un spectacle produit par le P’tit Cirk (22), vu le 16 décembre 2017 au théâtre Monfort.
Ecriture et Mise en scène : Danielle le Pierrès, Christophe Lelarge et Evelyne Fagnen
Interprétation : Danielle le Pierrès, Christophe Lelarge
Genre : Cirque (clown)
Public : Adulte
Durée : 1h
En 2014, "Hirissinn" du P’tit Cirk avait remporté nos suffrages. C’est donc tout naturellement que j’ai invité mes deux filles à découvrir leur nouvel Opus, "Eden".
Pour l’occasion, la petite salle du Monfort s’est métamorphosée en un joli chapiteau avec des gradins et une mezzanine en bois et à structure métallique. L’endroit, baigné d’une lumière rouge, est chaleureux. Au centre, trônent deux podiums perpendiculaires entre eux, revêtus d’un tapis chatoyant. De grandes bassines occupent l’espace pêle-mêle; ainsi qu’un vague pommier. En fond de scène un rideau rouge ferme le dispositif. Le spectacle se joue en pleine lumière. Le P’tit Cirk change littéralement de forme pour présenter un duo de clown, celui de Zinc et Crécelle.
Dans un drôle de Franglais, Zinc ambitionne de mettre en scène "Le Songe d’une nuit d’été", lui en grand Démétrius, elle en Héléna énamourée. Il est autoritaire, elle a deux de tension ; la répétition vire au fiasco et achoppe sur une pomme. Du "Songe", on bascule à la "Genèse" et à la question qui tue, innocemment posée par Crécelle "Adam et Eve ont-ils couché ensemble ?". Zinc et Crécelle rejouent à l’envi l’histoire de l’Homme et de la Femme ; de leur "je te fuis, tu me suis" à leur alliance malgré tout, en passant par leurs disputes, leurs câlins, leurs jeux de pouvoir. Shakespeare ou la Bible n’y feront rien, la relation entre un homme et une femme, dans le monde réel, c’est compliqué, de surcroît quand la femme échappe au rôle qui lui est traditionnellement dévolu et rétorque à la demande en mariage par un impérieux et définitif "I am a free woman".
Nos clowns sont traditionnels en ce qu’ils sont grimés de la sorte. Avis aux coulrophobes, s’abstenir. Ils en empruntent aussi les mimiques et les chausse-trappes. Mais le P’tit Cirk mène une recherche contemporaine et, en ce sens, sait renouveler le genre. Le langage, mélange d’anglais et de français, permet de faire passer des idées fort irrévérencieuses. Le rapport au physique, d’une rare violence, et que je t’agrippe par les cheveux, et que je te menace, avec tout le public du reste, de te décapiter à la hache, magnifie les émotions. Petits enfants, s’abstenir. La musique, celle du grand répertoire ou celle, jazzy, interprétée par Crécelle, souligne avec humour la narration. Le rapport au public, direct et cru, est une façon de l’interpeler sur le sujet : celui ou celle qui accepte la goulée de whisky proposée par une Crécelle gouailleuse et cigare au bec est "a free woman/man". Enfin, les trouvailles scéniques, nombreuses, multiplient les espaces, créent du rythme et de la tendresse. Parmi les plus jolies, citons les bassines qui s’empilent pour former le socle de la statue du Commandeur, la bassine qui s’ouvre comme le poêle du foyer, celle transformée en une improbable contrebasse ou enfin ce dessous de podium qui opère comme le lieu secret des câlins dont nos deux zigues ressortent heureux, détendus et amoureux en rabattant un côté customisé en rabat de lit.
"Eden" du P’tit Cirk est un joli spectacle qui, sous couvert de clowneries, pose des questions essentielles sur la relation amoureuse. L’Eden est peut-être précisément là, dans cette alliance de deux êtres libres, qui font fi des injonctions contradictoires de la société, pour mieux les affronter.
Catherine Wolff