Le triomphe de l'amour
photo de Pascal Gely

Un spectacle produit par le C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord, vu le 16 juin 2018, au théâtre des Bouffes du Nord (Paris 10e).

Mise en scène : Denis Podalydès
Comédiens : Edwige Baily, Jean-Noël Brouté, Christophe Coin, Philippe Duclos, Stéphane Excoffier, Leslie Menu, Dominique Parent, Thibault Vinçon.

Genre : théâtre musical
Public : Adulte
Durée : 2h15

Il m’a fallu résoudre un drôle de dilemme, de l’ordre du dilemme cornélien, au moins ! Aller voir "Le triomphe de l’Amour" alors que je déteste Marivaux. Ne pas y aller au risque de rater la dernière proposition de Podalydès qui nous avait offert, dans les mêmes lieux, il y a quelques années, un "Bourgeois gentilhomme" époustouflant. A la simple lecture de cette introduction, vous aurez deviné la résolution du problème. C’était un bon choix !

Pour autant, je ne suis pas réconciliée avec Marivaux. De surcroît avec "Le triomphe de l’amour" que je ne connaissais pas jusqu’à cette représentation et que je trouve encore plus tordue, mièvre et futile que les pièces plus généralement montées ! Pour faire simple, une jeune princesse, Léonide, se travestit pour aller chercher dans sa retraite le prince légitime dont feu son père (celui de la princesse !) a usurpé le pouvoir en tuant les parents ! Vous me suivez ? Le bel enfant qui n’en n’est plus un, Agis, vit caché auprès de son oncle, philosophe de son état, Hermocrate et de la sœur d’icelui, Léontine. Echaudés par l’histoire familiale, ils ont déclaré la guerre à l’amour et ne vivent, en leur ermitage, que d’esprit, de nature et de musique. C’était sans compter sur l’arrivée de Phocion, alias Léonide, qui tel l’ange de l’amour va éveiller ou réveiller en chacun le désir, les sens et les sentiments.

De cette invraisemblable fable, Denis Podalydès a su tirer le meilleur parti en l’imaginant comme une partie de chasse dans des marais. Marécage de l’amour où chacun s’enfonce peu à peu ; gibier de l’amour qu’il convient de piéger, de perdre ou de cacher. Le décor montre donc sur fond de cyclo nuageux une cabane d’affût translucide qui ressemble à une cabane à carrelet du littoral charentais. Devant, un jardin parsemé d’herbes hautes des marais. L’éclairage tamisé, les fantaisies interprétées au violoncelle par Christophe Coin, la richesse des costumes dessinés par Christian Lacroix, tout nous transpose au XVIIIe.

La cabane paraît d’abord comme le refuge du philosophe et le bel éclairage donne à voir le tableau du philosophe de Rembrandt. Mais dès la première scène, on voit que la cabane pivote. Telles les pirouettes de l’amour ou l’illusion des moulins de Don Quichotte, objet dramaturgique entre tous, elle ne cessera plus de tourner pour servir les desseins de Phocion. Elle est tantôt refuge, tantôt moucharabieh, tantôt balcon fort évocateur, et tantôt abri des amours bien charnels de Corine et d’Arlequin. Car pour mener à bien son stratagème, Phocion alias Léonide peut compter sur ses complices. Celle de toujours, Corinne, mais aussi les deux serviteurs d’Hermocrate, Arlequin et Dimas le jardinier, entrés dans la confidence avec force monnaie. Podalydès file la métaphore de la chasse en faisant communiquer ces quatre-là au moyen d’appeaux. L’effet comique de ce marivaudage n’en n’est que plus drôle.

Pour servir l’intrigue, ils sont, outre le violoncelliste, sept sur scène et tous fantastiques. Mention spéciale pour Dominique Parent dans le rôle de Dimas le jardinier et qui, tout en patois, campe un personnage grotesque, frustre et truculent. Le numéro au cours duquel, paille sur la tête en guise de perruque, il imite la femme sous les traits de Phocion en braillant une chansonnette et en se flagellant à la paille a suscité, à juste titre, les applaudissements du public !

La partie de chasse s’achève avec la résolution de l’intrigue. C’est aussi la fin de la mise en abyme. Le cyclo tombe, la lumière devient crue et l’illusion se dissipe. Phocion a conquis le cœur d’Agis et lui restitue le trône. "Plaisir d'amour ne dure qu'un temps, chagrin d'amour dure toute la vie". Comme le chantent les personnages, on comprend qu’Hermocrate et Léontine ont moins été victimes d’une duperie que de leur propre aveuglement. C’est tout le mérite de Podalydès d’avoir su mettre en exergue, par la justesse et la beauté de sa mise en scène, la dimension peut-être philosophique de la pièce. C’est un spectacle parfaitement réussi et maîtrisé.

Catherine Wolff

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