Anima - Hommage à Jean Cocteau

 

Spectacle de la Cie Magali Lesueur (06), vu le 16 juillet 2018, Festival Avignon OFF, La Factory/Théâtre de l'Oulle.

 

Chorégraphe et interprète : Magali Lesueur
Voix : Isabelle Carré  
Création musicale : Jonathan Guyonnet (violon) et Clément Maléo (arrangements)
Création lumière : Jean-Sébastien Marty


Genre : Danse, Poésie (poèmes Clair-Obscur de Jean Cocteau)
Public : Adulte
Durée : 40 min

La danse au service de la poésie. La voix au service du mouvement. À travers la chorégraphie de Magali Lesueur, mêlant rigueur et sensualité, la porte s’ouvre vers le rêve, duquel naît la création. Le spectacle « Anima » porte bien son nom : ce qui « anime » l’artiste. Son âme qui donne à l’art toutes ses nuances, sa complexité, son impertinence et sa puissance. Comme l’œuvre de Jean Cocteau. Une force empreinte de douceur, à l’image de la voix limpide et féminine de la comédienne Isabelle Carré.

Le sommeil et l’inconscient, sources de l’imagination selon Jean Cocteau. La danse de Magali Lesueur et la lecture sur scène d’Isabelle Carré donnent du relief au texte du poète, avec délicatesse et élégance. On admire la clarté de la gestuelle, qui se détache parfaitement sur la toile en arrière-plan, autour de jeux d’ombres et de lumière. Les mouvements qui se dessinent sous nos yeux, se juxtaposent avec grâce aux tableaux de Jean Cocteau projetés sur l’unique morceau de tissu. Derrière le voile apparaît parfois la silhouette de la lectrice Isabelle Carré, quand celle-ci n’est pas installée à une table en bois à droite de la scène, ou en train de s’avancer pour nous susurrer les mots du poète. De temps à autre, la voix de Jean Cocteau lui-même résonne dans la salle. Des bribes d’interview. On découvre alors l’envers du décor : ses pensées et son interrogation sur le processus de création. Le lâcher-prise fait partie des ingrédients magiques qui font apparaître le « moi » intérieur, sous différents prismes, dévoilant une face cachée, enfouie en nous-même… Se débarrasser du superflu, de tout ce qui nous encombre en termes de pensées et de préjugés, pour ne garder que l’essentiel, ce qui nous anime au plus profond. Ce laisser-aller donne la matière à l’artiste. Un art qui s’exprime sous toutes ses formes : la danse, à travers sa fluidité et sa forme paradoxalement totalement maîtrisée, tout en retenue ; la musique, qui accompagne les gestes de la danseuse ; le tempo des mots qui ressemblent à un instrument ; les dessins de Cocteau dans lesquels Magali Lesueur « se fond d’une façon extraordinaire », comme le souligne Isabelle Carré.

Poète, réalisateur, potier, dessinateur… Cette effervescence d’arts multiples a interpellé Magali Lesueur. Ce spectacle qui entremêle la danse et la poésie, la musique et la voix, est aussi l’occasion de découvrir d’autres facettes, parfois moins connues, de Jean Cocteau. La présence des tableaux rend hommage à ses talents de dessinateur. La mise en avant des dessins rappelle les fresques représentées sur la façade de Santo Sospir à Saint-Jean-Cap-Ferrat. En 1950, l’artiste a entièrement « tatoué » les murs de cette villa où il a vécu à la fin de sa vie. La chorégraphe révèle l’attraction ressentie pour ce lieu : « C’est le point de départ. Comme si j’y avais rencontré l’âme de Cocteau, dès que je suis entrée dans la villa. D’où le choix du titre Anima ». La présence de tissu sur scène fait écho au musée Cocteau de Menton, commune azuréenne très appréciée par le poète dont est originaire Magali Lesueur. Au début du spectacle, un voile recouvre le corps de la danseuse, comme une carapace dont elle va lentement se défaire pour dévoiler les profondeurs de son âme et la mettre en lumière. Un spectacle onirique. Une atmosphère surréaliste, à l’instar de Jean Cocteau dont l’œuvre appartient à ce mouvement artistique. Un plongeon dans l’univers de l’artiste, fruit d’une immense admiration.

Création originale et sobre à la fois, à l’image de la simplicité des vêtements de couleur unie portés par les protagonistes (lectrice en blanc, danseuse en noir). Riche de toutes les formes artistiques qu’elle explore, comme pour en extraire le suc : nous amener loin de ce plateau de théâtre, plus près de nos rêves et de notre inconscient. Nous faire découvrir l’ailleurs, en nous faisant voyager en dehors de nous-même et au-dedans. Un moment d’évasion et d’introspection. Serait-ce antinomique ? Peut-être. Mais c’est ici toute la complexité de l’art et ses paradoxes qui semblent être « décortiqués », un peu comme la gestuelle très appuyée de la danseuse avec ses mains. L’énergie circule jusqu’au bout des doigts, les phalanges gesticulent, le poignet se tord, comme le jeu des ombres chinoises, laissant libre cours à notre imagination. Là encore il faut connaître l’artiste au-delà de ses talents de poète : clin d’œil au film « Orphée » où Cocteau utilise les jeux d’ombres. Une passerelle qui nous mène à son premier long-métrage « Le sang d’un poète » où le réalisateur magnifie les mains avec une caméra braquée sur elles. On y retrouve des thèmes chers à Cocteau qui ont été source d’inspiration pour la chorégraphe : les corps et le miroir-porte qui symbolise le passage vers une autre réalité.

Deux femmes qui font une déclaration d’amour à l’artiste Cocteau. L’une avec sa voix. L’autre avec son corps. Toutes deux alliées, en osmose, en symbiose, en art et en amitié. Le processus de création, Isabelle Carré le connaît bien en tant que comédienne mais aussi en tant qu’écrivaine. D’ailleurs, son premier livre publié récemment s’intitule « Les rêveurs ». Adolescente, elle a découvert le texte « La Voix humaine » de Cocteau et a toujours rêvé de le jouer. Magali Lesueur, qu’elle a rencontrée sur un tournage, baigne également dans le milieu cinématographique. Isabelle Carré n’a pas hésité une seconde à participer au projet. Elle apprécie le style de sa partenaire qui, malgré une formation classique, s’est ouverte à différents types de danse dans lesquels elle va puiser son inspiration. « J’aime beaucoup la danse contemporaine vraiment dansée, comme elle le fait », décrypte Isabelle Carré. Dans cette chorégraphie, Magali Lesueur n’emprunte pas tant au langage théâtral, en multipliant surtout les références au travail cinématographique de Jean Cocteau. « La danse, c’est vraiment quelque chose qui me plaît de partager sur scène avec Magali, car mon rêve à 14 ans était d’être danseuse », raconte Isabelle Carré. La voix et la présence de l’actrice accompagnent les pas lents et souples de la danseuse, ses mouvements de bras et de mains, amples et précis. Descente au sol, lever de jambes, tête qui prend appui sur le plateau pour se courber en arrière et regarder le public à l’envers, yeux dans les yeux… Les spectateurs semblent captivés, assis sur les estrades de cette salle moderne de La Factory/Théâtre de L’Oulle (scène permanente d'Avignon nichée à l’arrière d’un restaurant). L’effet enchanteur agit, presque comme en hypnose. On serait prêt à s’endormir là, maintenant, preuve que l’invitation à la rêverie fonctionne. « Il y a un effet réparateur qui est assez exceptionnel dans le rêve. Toutes les frustrations de ce qu’on n’a pas pu accomplir dans la journée, on les accomplit grâce aux rêves », fait remarquer Isabelle Carré. « Ce spectacle parle de l’inspiration. Cocteau le dit très bien dans ses poèmes : les rêves sont peut-être ceux qui parlent le mieux de nous. Et pour les artistes, c’est une source d’inspiration infinie. » 

Lauren Muyumba

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