La Maladie de la Famille M

 

 

Spectacle du Collectif Les Impromptus (75), vu le 07 juillet 2018, Festival Avignon OFF, Théâtre de l’Ange.

 

Avec : Shawna Municchi, Clara Pires, Julien Bartyzel, Antoine Capra, William Franchi, Mathieu Pillard, Yannis Moussouni

Mise en scène : Yannis Moussouni

Auteur : Fausto Paravidino

 

Genre : Théâtre
Public : Tout public
Durée : 1h

 

Une jeune troupe de comédiens formés au Cours Florent, nous entraîne dans les méandres des relations humaines, qu’elles soient familiales, amoureuses ou amicales. Au détour d’un drame, ils arrivent à apporter un brin de fraîcheur et de modernité, portés par l’énergie du metteur en scène Yannis Moussouni, lui-même comédien dans la pièce. Trahison, maladie, non-dits, difficultés de communication… Les propos résonnent de manière intemporelle.

Le long monologue d’un médecin ouvre le spectacle. D’un ton professoral, il nous parle d’abord de maladie, puis assez rapidement, le thème principal nous échappe. Les pathologies semblent être davantage d’ordre relationnelles. La maladie de l’amour ? Les ravages de la non-communication ? Le poison des non-dits et le venin des reproches ? Le public assiste dès les premières minutes à l’expression de la révolte au sein d’une famille. Une dispute un tantinet « commedia dell'arte », pouvant rappeler les origines italiennes de l’auteur Fausto Paravidino. Les cris fusent. Un peu trop peut-être. À moins que la taille du théâtre ne soit mal adaptée au volume sonore de ces jeunes qui en ont dans le ventre et dans les tripes.

On découvre ensuite la relation d’un jeune couple au bord de la rupture, et les liens d’amitié qui peuvent se distendre lorsque la rivalité en amour s’en mêle. Les « non-dits tuent » et la « maladie de l’amour » semblent être les symptômes et névroses de ces personnages. Des lieux communs qui font sans doute la force de cette pièce : l’effet miroir qu’elle nous tend reflète des réalités relationnelles auxquelles on doit faire face. On cherche à percer le mystère de la maladie de la famille M et à savoir quel est le fil conducteur. Même si on ne le saisit pas toujours, on se laisse porter par une belle énergie. Le plaisir de jouer des comédiens parvient à nous toucher. Il y a des pièces qui accrochent dès le départ et qui nous perdent au fur et à mesure. Ici, la magie opère : plus les minutes passent, plus l’on se rapproche des personnages. Ils intriguent, éveillent notre curiosité. Ces êtres paraissent torturés par leurs questionnements et leurs émotions. On se demande en quoi ils nous ressemblent ou l’on tente de comprendre leur fonctionnement, de mieux saisir ce qu’ils cachent au fond d’eux.

Faut-il écouter son cœur coûte que coûte lorsqu’on est amoureux ? Comment ne pas faire du mal à son meilleur ami ? Comment choisir ce qui est bon pour nous, sans pour autant blesser l’autre ? Le sentiment de culpabilité d’aimer la copine d’un ami ; les doutes d’un jeune couple dont l’histoire d’amour semble ne tenir qu’à un fil ; la fragilité des relations au sein du foyer familial où susceptibilité et amertume se rencontrent ; le fait de se retrouver « parent » de son propre père ; les quiproquos et les repas de famille ; le désir d’avoir une fratrie « normale » et solidaire ; le poids des secrets et des incompréhensions ; les tabous sur le suicide ; l’apparition d’une maladie ; un accident de voiture… Dans la vie, nul n'est à l’abri. Comment faire alors, lorsqu’on est dans le « clan » des vivants ? La fratrie est-elle une bulle d’air ou un espace où l’on étouffe ? Ceux qui restent font comme ils peuvent pour continuer à avancer, aimer, se disputer, pardonner, vivre sans l’autre et vivre ensemble. Au fil de l’eau, le public découvre la pathologie du père de famille et la disparition de la mère. L’absente. Et pourtant celle qui semble être au cœur des tracas et disputes familiales. Sa présence en filigrane, régit les émotions, les souvenirs, les reproches, mais aussi l’amour et le sentiment d’être unis par les liens du sang à jamais. La mère, aujourd’hui absente, n’a-t-elle pas aussi souffert du poids des non-dits et du silence dans le passé ? 

Le rythme est cadencé, avec une succession de scènes sur lesquelles on ne s’éternise pas. Les enchaînements manquent parfois de fluidité pour donner davantage de cohérence narrative. Malgré quelques maladresses, les tableaux sont marquants. Condensés, mais puissants. On retient la démarche sincère des comédiens, leur fougue, leur investissement et leur travail. Des ingrédients très prometteurs. Ils nous entraînent petit à petit dans leur univers, jusqu’à nous émouvoir parfois. Au-delà de la motivation palpable des acteurs, on note aussi l’originalité d’avoir su introduire d’autres formes d’art. Le chant a cappella et mélodieux d’une comédienne apporte espoir et douceur. La danse énergique d’un comédien exprime déchirement et colère, dans une scène surprenante où il quitte soudainement sa veste pour improviser avec ferveur des mouvements à tendance « new style ». Cette chorégraphie représente peut-être la métaphore de son entraînement pour affronter physiquement son meilleur ami, qui vient d’apprendre qu’il a déclaré sa flamme à sa petite amie…

Finalement, le spectacle laisse une grande liberté d’interprétation, à commencer par le titre énigmatique : « La Maladie de la Famille M ». Pour saisir l’ensemble des tenants et aboutissants, mieux vaut sans doute se plonger dans la lecture complète de la pièce de Fausto Paravidino. Yannis Moussouni s’est pris une claque en la lisant, dit-il. Le jeune comédien et metteur en scène regrette même d’avoir dû raccourcir la durée du spectacle pour le festival. En tout cas, on ne voit pas le temps s’écouler. Quand la passion est là, elle finit toujours par atteindre les rangs des spectateurs. Une jeune troupe à suivre.

Lauren Muyumba 

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