Le ballon blanc

 

Photo de Lauren Muyumba

Spectacle de la Compagnie des 100 Têtes (30), vu le 07 juillet 2018, Festival Avignon OFF, Théâtre de L’Atelier 44.

 

Avec : Axelle Abela, Grégoire Aubert

Metteuse en scène : Lucia Pozzi

Création lumière : Nicolas Ferrari

Décorateur/Scénographe : Jean-Bernard Tessier

 

Genre : Théâtre, Clown
Public : Tout public
Durée :
55 min

Ne vous y trompez pas, cette pièce jouée par deux clowns adultes ne s’adresse pas qu’aux enfants, mais bel et bien aux petits et grands. Les parents pourront y trouver leur lot d’interrogations et de rires. Sans tomber dans un discours moralisateur, c’est avec finesse et dérision que les deux comédiens tentent de pénétrer le monde de l’enfance, imagé par un retour dans une maison remplie de souvenirs. « Le ballon blanc » nous concerne tous, comme une forme d’écho à notre enfant intérieur.

Lumière sur le public. Le spectacle commence ainsi, avec l’arrivée d’un clown du côté des spectateurs. D’entrée de jeu, l’assistance est invitée à ne pas rester passive. Le comédien endosse le rôle du petit garçon et se lance dans la visite d’une maison imaginaire. Est-elle hantée par des fantômes ? Le registre fantasque de l’enfant nous plonge immédiatement dans l’univers du jeu, de la découverte et de l’émerveillement. Le personnage adulte revient à la fin de la pièce, en faisant de nouveau face au public pour nous parler à « nous », à « vous », à tous finalement puisque le sujet est universel. Cette maison des souvenirs nous fait remonter le temps avec poésie et tendresse, pour réveiller des émotions et des interrogations. Espace de rêverie, mais aussi lieu de remise en question. Quels sont les droits des enfants ? La question est directement posée au public. Le mot « jouer » ne tarde pas à sortir de la bouche d’un spectateur et ce verbe correspond tout à fait au décor qui évoque un échiquier, avec un chevalier géant en guise de balançoire. Le plateau bicolore fait ressortir le contraste entre le noir et le blanc, comme une métaphore sur la dualité du rôle parental qui dicte ce qui est bien et ce qui est mal. La mise en scène subtile, ne bascule pas pour autant dans un discours manichéen.

Un savoureux mélange de narration, de mime et de clown, avec deux comédiens qui ne nous laissent pas indifférents et donnent le sourire. Cette pièce s’adresse à la part d’enfance et de nostalgie en nous, sans tomber dans le pathos. Le propos est souvent juste, parfois un brin provocateur, mais toujours avec douceur. Le garçon est entouré de personnages féminins : la comédienne endosse tantôt le rôle de la meilleure amie, tantôt celui de la mère qui répète qu’il faut « marcher droit ». Le genre d’adage que garde en tête les petits, sans trop comprendre ce que cela signifie. Le clown féminin, pétillant, nous fait rire aux éclats en mimant de façon burlesque le quotidien d’un enfant, guidé par la narration de son ami : lire un livre, manger, jongler... La comédienne Axelle Abela transforme sa voix en accélérant son débit de parole d’une manière irrésistiblement drôle, et l’on découvre son véritable timbre lorsqu’elle pousse la chansonnette. Que ce soit à travers un air d’accordéon, sa bonne humeur ou son énergie, la joie transmissible de ce personnage féminin nous fait revivre l’émerveillement et la naïveté de la tendre enfance, même si celle-ci n’est pas toujours rose.

Les sujets délicats ne sont pas écartés. Un masque en papier figure un père absent, qui préfère boire de la bière et donner un peu d’argent à son fils plutôt que de sortir avec lui. Un muret blanc au milieu du plateau illustre la fameuse limite à ne pas franchir, qui dénonce subtilement les fessées dont l’utilité fait débat, et toutes formes d’abus ou d’attouchements. Une scène évoque les maladresses et les traumatismes d’ordre verbal qui peuvent marquer les esprits, comme la phrase prononcée par la maman au moment où son fils la surprend dans les bras d’un autre : « ce n'est rien », dit-elle à son amant après avoir ordonné à son enfant de retourner dans sa chambre. Le garçon qui n’a pas le sentiment d’être « rien », va alors soulever des questions au sujet de son « identité ». Moment d’émotion où les spectateurs sont invités à s’exprimer à voix haute. Les réponses fusent dans la salle : le droit « de parler », « de jouer », « d’apprendre », « d'être respecté »… Effet cathartique ? À travers ces paroles, le public aussi semble se libérer. Comme une revanche sur le passé ou la défense des acquis. Tout au long du spectacle, la notion de « liberté » est d’ailleurs fortement présente, avec l’emploi récurrent du verbe « choisir ». L’enfant tente de se frayer un chemin, de faire ses choix, pour s’affirmer et donc grandir.

Le garçon est joué par un comédien qui s’interroge lui-même sur son rôle de père, sans que ce soit autobiographique pour autant. Grégoire Aubert se pose une question ordinaire : comment être certain que l’on est un « bon parent » ? Peut-être en tentant de se rapprocher de l’enfant que l’on a été ? En n’oubliant pas ce que l’on a pu éprouver ? Presque comme un devoir de mémoire, la pièce nous rappelle que chaque enfant est un être à part entière, avec une voix singulière à faire entendre. Finalement le « ballon blanc », serait-ce une métaphore de notre enfant intérieur que l'on peut toujours regonfler au cours de notre existence ? Un ballon qui parfois se dégonfle, comme celui projeté de façon comique dans les rangs du public à la fin du spectacle. Et si la nostalgie du passé nous gagne, il ne reste plus qu’à regonfler ce ballon à bloc. Une boule d’énergie, une bulle d’air de candeur et de fraîcheur.

Les spectateurs, selon leur propre histoire, pourront se reconnaître à travers les sentiments des personnages. La solitude d’un fils unique qui cherche des compagnons de jeu, l’autorité d’une mère intransigeante pour les devoirs, l’attachement à des jouets intemporels comme Sophie la girafe ou Monsieur Patate, l’envie de composer une chanson pour sa maman et de lui offrir des fleurs, le sentiment de culpabilité face à des leçons de morale qui invitent à ne pas se plaindre car « des enfants meurent de faim ou travaillent à ton âge », la maltraitance, le sens du devoir… Des questions de fond introduites à chaque fois avec finesse, sans prétention. La mise en scène recherchée, a su garder en même temps une qualité précieuse qu’ont les enfants : la simplicité.  Les propos sont clairs, compréhensibles, sensibles et forts. Une pièce accessible qui s’adresse à tous les âges.  

Lauren Muyumba 

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