Une maison de poupée
29 sept. 2018Un spectacle produit par La Brèche (Paris 10e) vu le 18 septembre 2018 au Montfort (Paris 15e).
Mise en scène : Lorraine de Sagazan
Comédiens : Lucrèce Carmignac, Romain Cottard, Jeanne Favre, Antonin Meyer Esquerré, Benjamin Tholozan
Genre : Théâtre
Public : Adulte
Durée : 1h40
La saison a enfin repris et, pour Vivantmag, c’est par le Montfort qu’elle commence. Ce qui a motivé mon choix ? Aïe : je vais me faire taper sur les doigts par notre grande féministe, Lorraine de Sagazan ! Mais son nom m’évoquait un grand artiste plasticien et performer, Olivier de Sagazan. Est-ce papa ? J’ai googlisé, a posteriori, en vain. Mais naïvement, je me disais que si elle était réellement enfant de la balle, le spectacle risquait de valoir sacrément le coup. Et puis il y a "Une maison de poupée" qui fait partie de mes pièces préférées. La déception a été à la hauteur de l’attente, abyssale.
Pourtant le postulat de base est vraiment intéressant. "Une maison de poupée" a maintenant un siècle et demi. Pour ma part, le féminisme de la pièce est toujours d’actualité. Mais je peux tout à fait entendre qu’on veuille la confronter à notre contemporanéité. Le spectacle commence par une lecture du texte façon italienne. Au bout de 5 minutes, Torvald adresse un "ça va" goguenard au public. Foin des livres et c’est parti pour une adaptation libre d'"Une maison de poupée" où les rôles sont inversés : c’est Nora qui occupe un poste à responsabilités et qui fait bouillir la marmite ; Torvald est homme au foyer. C’est de lui dont le docteur Rank est secrètement amoureux. Dans cette configuration désormais presque banale, Lorraine de Sagazan et les cinq comédiens en scène interrogent, au-delà des apparences, les invariants du rapport homme/femme dans le couple et dans la société.
Je cautionne totalement la démarche. Je regrette amèrement la forme. C’est bien joli de vouloir faire du Tg Stan mais n’est pas le Tg Stan qui veut. Et ça tombe mal pour Lorraine de Sagazan : quelques jours avant, j’avais été voir "Infidèles" de ladite compagnie. Je ne l’ai pas chroniqué car le théâtre de la Bastille s’obstine à ne pas vouloir inviter Vivantmag. Mais j’ai eu tout le loisir d’observer une fois encore la parfaite maîtrise de leur art : une adaptation d’un (ou de plusieurs) texte d’auteur, un plateau nu avec quelques ustensiles du quotidien, une équipe resserrée qui se change à vue, une jauge plutôt intimiste pour un huis-clos d’autant plus cruel que le naturel du jeu est sidérant, un public sommé de prendre position et au final une sorte d’ambivalence entre le texte et la réalité de ce qui est joué. Eh bien c’est tout pareil chez Lorraine de Sagazan ! Du moins cela se voudrait être tout pareil. Outre que ce n’est pas très joli de copier, tout sonne faux, à part, peut-être, le dispositif scénique. L’adaptation est si mauvaise qu’on a du mal à suivre (et pourtant, je connais fort bien l’original) ; le texte tourne franchement au galimatias lorsque, à la fin du spectacle, il est projeté au mur tel le reflet des sentiments que la pauvre Nora, prostrée, n’est plus en état de dire. Vous l’aurez compris, le jeu est à l’avenant : ça éructe sans cesse, ça mange les mots, ça écorche le verbe, ça débite sans ressenti, ça gesticule. Seule note positive dans cet énorme gâchis : la scène de la danse admirablement mise en lumière par Claire Gondrexon.
L’intention de départ était belle. Sa réalisation est prétentieuse et fait penser à un projet de fin d’études. Le prétexte de "la première" ne saurait excuser un spectacle qui pèche totalement dans la forme. Des spectateurs sont partis (que j’eusse aimé !) ; d’autres, interrogés à la sortie, ont souffert en silence mais je dois avouer que l’ensemble de la salle n’était pas aussi hostile que peut l’être ma chronique. A mon sens, "Une maison de poupée" mise en scène par Lorraine de Sagazan est un massacre d’Ibsen et qui ne sert en rien la cause des femmes.
Catherine Wolff