Autrefois j'avais un pays

 

Spectacle produit par La Compagnie de la Divine Comédie (76, Rouen) vu le 19 octobre 2018 au théâtre de l’Opprimé (Paris 12e).

Mise en scène : Jean-Christophe Blondel
Texte : Alain
Comédiens : Muhanad Aljaramani (musique), Constance Gay, Imer Kuttlovci, Andrea Nistor, Nicolas Vial

Genre : Théâtre
Public : Adulte
Durée : 1h50

Quand je ne sais où aller voir un spectacle susceptible de me plaire, souvent, la solution réside en un petit tour au Théâtre de l’Opprimé. A l’image du nom de la structure, la programmation privilégie des spectacles engagés, de qualité. « Autrefois, j’avais un pays » ne déroge pas à la règle bien que j’aie eu maille à partir avec le texte.

Décidément, Alain me poursuivra toute ma vie. Lycéenne puis étudiante en prépa littéraire, il y a fort, fort longtemps, pas un sujet de disserte n’échappait à la petite maxime d’Alain. Et si ce n’était pas lui, c’était donc son frère, Valéry ou Malraux. Résultat des courses, j’ai pris en horreur ces trois auteurs et le spectacle vu ce soir n’a fait que confirmer ce rejet.

Depuis cette lointaine époque de mes études, Alain est tombé en désuétude. Heureux qui comme les élèves de prépa n’ont plus à se tordre les méninges pour essayer de comprendre sa pseudo pensée ! Centenaire de la Grande Guerre oblige, et compagnie normande tout comme l’auteur, on comprend aisément ce qui a pu pousser la compagnie de la Divine Comédie à faire sortir Alain de son purgatoire. « Autrefois j’avais un pays » est donc un montage des textes et des lettres que l’auteur, âgé de 46 ans, a écrit au front pour la génération sacrifiée de ses élèves. Bel engagement de sa personne, assurément. Mais, tout en considérant le contexte pour le moins pénible de l’écriture, les textes sont confus et diffusent une certaine incohérence à tout le spectacle. La Divine Comédie a néanmoins su compenser cette faiblesse par une mise en scène intelligente et convaincante.

Ils sont quatre comédiens, deux femmes et deux hommes, ainsi qu’un musicien à faire vivre toute une panoplie de personnages. Ils se divisent en deux catégories : les embusqués de l’arrière ;  les poilus du front. Les premiers sont réduits à des archétypes tandis que les seconds sont doués d’une certaine psychologie. Dans cette catégorie, on trouve bien sûr l’auteur. Il apparaît tantôt jeune sous les traits d’un comédien, tantôt âgé (comme signe de textes postérieurs ?) par l’intermédiaire d’une voix off. Les changements de personnage sont indiqués par trois signes : la projection de la fonction de l’archétype au mur (la préfète, le premier ministre, le recruteur…), un détail vestimentaire (pantalon à galons pour le premier ministre, débardeur kaki pour les soldats, breloques pour le roi…) et/ou un accessoire (bureau qui descend des cintres pour les dirigeants, micro pour la harangueuse, etc.). A cette dichotomie des personnages, répond un étagement de l’espace.

Il n’y a pas de plateau à proprement parler à l’Opprimé. La chape de béton qui fait office d’espace scénique porte un praticable incliné recouvert d’un parquet de gymnase. En haut auront donc lieu des affrontements d'opérette : un match de lutte chorégraphié entre deux balayeurs embusqués, le bavardage cynique des gens de pouvoir, la crédulité crasse des vieux restés à l’arrière. En dessous et en avant-scène, c’est la vraie vie, en l’occurrence, le front. Entre les pieds métalliques du praticable, des lits de camp ont été fixés. Augmentée de quelques bruitages et d’éclairages, cette construction reconstitue avec une belle illusion l’atmosphère de la tranchée. Dans la précarité de la survie, la parole est libre, authentique, et condamne sans ambages ceux du dessus. Pour passer d’un univers à l’autre, les comédiens font tourner le plateau comme s’il s’agissait de la roue de la fortune, comme si le simple hasard avait procédé à la distribution des rôles. Parfois ceux du dessous tentent une incursion chez les Maîtres. En vain, sauf lorsque la bohémienne, mère célibataire d’un bébé, crache au visage d’une mère endeuillée son ambition d’élever son fils selon la loi des mères afin de rompre définitivement avec tout ce que le deuil de l’autre incarne : l’honneur, la patrie, le sacrifice des fils. C’est une scène très émouvante à l’instar du grand monologue d’Alain dans la tranchée. J’ai par ailleurs beaucoup aimé les accompagnements musicaux - oud, percussions et mélopées - qui rythment le texte et l’ouvrent sur un autre contexte. Le spectacle commence avec le oud et se referme avec, tel un conte venu d’ailleurs, contemporain et cruel. Les accents assez prononcés de deux comédiens - venus d’horizons plus lointains - participent aussi de ce message résolument pacifiste et universel.

Malgré un texte intrinsèquement médiocre et un montage difficile de ce matériau, « J’avais un pays autrefois » est un beau spectacle. Les trouvailles scénographiques sont d’une grande efficacité pour montrer ce que le texte échoue à dire. Les comédiens et le musicien portent l’ensemble avec générosité et engagement.

Catherine Wolff

Retour à l'accueil