F(l)ammes

 

Spectacle produit par Madani compagnie (La Nef, 93 Pantin) vu le 9 octobre 2018 au TQI-la manufacture des œillets (94, Ivry).

Mise en scène : Ahmed Madani
Texte : Aiat Fayez

Comédiens : Anissa Aou, Chirine Boussaha, Laurène Dulymbois, Dana Fiaque, Yasmina Ghemzi, Maurine Ilahiri, Anissa Kaki, Nina Muntu, Haby N’Diaye, Inès Zahoré

Genre : Théâtre
Public : Adulte
Durée : 1h40

C’est ma première chronique pour le TQI-la manufacture des œillets et je suis contente de faire découvrir ce lieu que j’aime tant et dont je suis paradoxalement une vieille habituée. Il faut dire que jusqu’à présent, le théâtre m’invitait sous mon statut de prof. Cette fois, les dates ne convenaient pas. Or je voulais vraiment découvrir "F(l)ammes". Aussi ai-je sorti la casquette Adadiff-Vivantmag. Il me faut en retour combattre ma flemme et écrire. Mais le TQI-la manufacture des œillets et le spectacle d’Ahmed Madani le valent bien !

Avant donc de parler du spectacle je voudrais rendre hommage à la structure. Le TQI siégeait il y a deux ans encore au théâtre Antoine Vitez. Depuis, si le théâtre existe toujours mais sous statut municipal, le TQI est devenu CDN et a emménagé à la manufacture des œillets, ancienne bâtisse industrielle très joliment restaurée. Ce petit historique est important car le TQI est l’un des rares théâtres à être resté fidèle à son éponyme, Antoine Vitez : les spectacles sont exigeants et populaires ; l’équipe mène une vraie politique d’ouverture au(x) public(s). C’est ici que j’ai découvert des metteurs en scène qui comptent aujourd’hui parmi mes préférés comme Jean Bellorini ou Yann-Joël Collin. Le spectacle d’Ahmed Madani que j’ai vu ce soir n’atteint pas ces sommets mais c’est un spectacle important dans son propos et très plaisant à regarder.

 

Elles sont 10 jeunes femmes sur scène. Elles s’emparent du plateau, d’abord tour à tour puis collectivement, pour raconter dans leur singularité ce qui malheureusement, s’apparente à une expérience commune dans la France d’aujourd’hui : comment être une femme libre quand précisément on est française mais femme, issue des quartiers populaires et fille d’immigrés ou simplement colorée. Toutes sont comédiennes amateurs mais savent raconter avec brio, émotion et humour les grandeurs et misères que leur valent leurs différences.

Le dispositif scénique est réduit à sa plus simple expression. Sur le sol, un périmètre blanc dessine l’espace du témoignage puis du jeu collectif. En avant-scène, un micro. En fond de scène, 10 chaises et un cyclo. Chaque entrée sur scène s’accompagne d’une vidéo qui montre la jeune femme soit dans la nature, soit dansante, soit en gros plan. Un chant, entonné par la précédente comédienne accueille la nouvelle. A partir du quatrième récit,  les scènes collectives ponctuent les récits singuliers. On s’embrouille sur la couleur de peau qui passe le mieux, sur ces fichus cheveux qui rendent nécessaire le détour par Château-Rouge en quête du produit miracle (ça, c’était doublement pour ma pomme, vu ma tignasse et mon adresse !). Mais on danse aussi, on mime les gestes de la grand-mère d’Anissa en train de confectionner la mahjouba ; on chorégraphie les passes de karaté que Chirine, ceinture noire, nous apprend pour nous défendre d’un éventuel violeur ! Tout feu, tout flamme, et la salle de fondre d’émotion devant des récits parfois poignants, notamment ceux des relations aux pères (Inès, Chirine). Et la salle de hurler de rire devant tant de situations cocasses, racontées avec un humour décapant. Voir Anissa, jeune femme voilée de 28 ans, mère de 5 enfants, jouer la façon dont elle a été réduite, à l’école primaire, en privée, à faire le poney pour être copine avec Marie-machin vaut son pesant d’or. Et la métaphore qu’elle file sur Ulysse et Pénélope pour raconter le partage des tâches dans le couple est juste fantastique.

J’ai donc, à l’instar de la salle, très jeune, été emballée par la pièce. Je regrette seulement quelques longueurs sur la fin ainsi qu’un enchaînement discutable des dernières scènes. Pourquoi, alors que les spectateurs avaient vu dans une chorégraphie sauvage le final de la pièce, placer un récit très dur (mais nécessaire) sur l’excision pour mieux le clore par une nouvelle chorégraphie? Résilience, tel est peut-être le message mais théâtralement, ce montage diffuse plutôt de la maladresse.

 

"F(l)ammes" est un spectacle engagé et combien nécessaire par les temps qui courent. Ne serait-ce qu’au théâtre, sur scène comme dans la salle, voir et entendre enfin la diversité, c’est juste salutaire. Point de pathos, point de manichéisme. C’est au contraire une vision complexe de la société et de ses blocages qui se dessinent à travers ces parcours. La générosité du jeu, l’authenticité de l’expérience, la variété des talents mis en œuvre par ces jeunes femmes sont assurément les armes les plus efficaces pour revendiquer l’égalité.

Catherine Wolff

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