Songs
25 janv. 2019Un spectacle produit par l’ensemble Correspondance (69 Lyon) et la vie brève(Paris) vu le 12 janvier 2019 au Théâtre des Bouffes du Nord (Paris X°)
Mise en scène : Samuel Achache
Direction Musicale : Sébastien Daucé
Comédiens et musiciens : Lucile Ricardot, Margot Alexandre, Sarah Le Picard, Sébastien Daucé, René Ramos-Premier, Lucile Perret, Angélique Mauillon, Mathilde Vialle, Louise Bouedo, Etienne Floutier, Thibaud Roussel, Arnaud de Pasquale.
Genre : théâtre et musique
Public : adulte
Durée : 1H40.
Il y a cinq ans, je découvrais avec « le crocodile trompeur (Didon et Enée) » l’extraordinaire travail de Samuel Achache (à l’époque assisté de Jeanne Candel) et qui consiste à vulgariser la musique baroque dans des mises en scène déjantées et époustouflantes. Depuis, il y a eu un mémorable « Orféo » et ce soir un nouvel opus intitulé « Songs »
« Songs » procède du même principe à cela prêt qu’il ne s’agit pas cette fois de revisiter un opéra mais de mettre en exergue les chansons profanes anglaises de compositeurs disparates ayant officié à la Cour d’Angleterre entre 1630 et 1690. Il a donc fallu en quelque sorte écrire un livret pour les réunir et les présenter.
Nous sommes donc conviés au mariage de Sylvia. Sauf que Sylvia est prise de panique au moment décisif, se refugie aux toilettes, rejointe par sa sœur Viviane qui essaie de la calmer et de la ramener à la cérémonie. Peine perdue : Sylvia, telle Alice au pays des merveilles, se recroqueville dans sa robe de mariée, se faufile sous les tentures qui revêtent la scène et passe de l’autre côté du miroir, son propre cerveau. Là, nous découvrons la richesse de son intériorité où l’humour ravageur et l’imagination débordante combattent une noire mélancolie née d’un père absent et d’une mère maltraitante.
Le décor, une fois les tentures ôtées par le cheminement de Sylvia, laisse voir un intérieur totalement paraffiné : les paravents de plexiglas qui dessinent la concavité du crâne mais aussi les quelques accessoires (l’étagère des souvenirs, une table, une desserte, un fauteuil, une chaise).Côté cour se tient l’orchestre avec huit musiciens (violes, harpe, virginal, flûte et théorbe). Une lumière relativement froide, sauf exception, éclaire l’ensemble.
Dans cet intérieur figé, Sylvia dialogue avec son entourage. D’abord avec sa sœur Viviane qui est, avec la musique, la seule image positive qui s’offre à elle : Viviane, c’est la confidente et l’amie ; c’est l’image de la mère qu’elle aurait souhaité avoir et qui de fait, se confond avec une ancienne directrice de colo enrobée, à l’accent du sud et aimante. La comédienne, déguisée en cet avatar, donne la réplique à sa sœur avec un humour décapant. Elle présente ainsi les autres protagonistes, notamment les musiciens, « comme né des délires érotomanes de sa sœur ». Il y a aussi Constantin un ancien amoureux qui, outre ranger les souvenirs et fabriquer de la paraffine « de visu », fait entendre une superbe voix de baryton. Il y a la mère enfin, massive et campée, qui se métamorphose quand elle chante d’une voix d’alto les états d’âme de sa fille.
Malgré un sujet difficile (la maltraitance qui mène à la folie), des airs baroques souvent mélancoliques et une fin tragique admirablement scénographiée (la paraffine que malaxe tour à tour Constantin et la mère est le futur linceul de Sylvia tandis qu’un des virginal suggère un cercueil), le spectacle est très drôle. Ce sont tantôt les musiciens qui, entre deux morceaux, se partagent le saucisson pour l’apéro. C’est la tenue ridicule de Sylvia qui, sur son bustier de mariée, enfile un vieux survêt rouge criard. Ce sont les adresses au public que Viviane multiplie. Ce sont les multiples contre-pieds. A ce titre, la plus jolie scène est celle du flirt entre Sylvia et Constantin. Viviane tient la chandelle et traduit l’espagnol de Constantin d’une façon toute personnelle. Le jeu est donc excellent et la musique tout autant.
J’ai néanmoins pris moins de plaisir à ce spectacle qu’aux précédents. Il n’a d’ailleurs par réussi à convaincre ma cadette qui m’accompagnait. Viviane qui porte l’essentiel de la première partie du spectacle, a beau être un réel bout-en-train, elle a bien du mal à compenser un spectacle qui manque quelque peu de rythme. L’ensemble est souvent trop statique et presque trop sage. Je regrette aussi que nous n’ayons pas eu à entendre d’autres solistes que la mère et Constantin. Quand, par deux fois, les musiciens font chœur avec les solistes, c’est tout un nouvel univers qui s’ouvre. J’y aurais volontiers goûté davantage.
« Songs » est un spectacle pluridisciplinaire qui mélange musique baroque, comédie et tragédie. Comme dans les spectacles précédents, la musique n’est pas prétexte au texte ou juste intermède : elle est au cœur du dispositif et c’est pour mieux la découvrir qu’une histoire est racontée. Malgré l’incontestable qualité de l’ensemble, l’artifice est ici un peu trop perceptible.