Vent debout
29 janv. 2019Un spectacle produit par la Cie des Fourmis dans la Lanterne vu samedi 12 janvier à 19h30 à Tressan (34)
Ecriture, création, interprétation : Pierre Yves Guinais, Yoanelle Stratman, Création sonore : Jean Bernard Hoste, Création lumière : François Decobert, Illustrations : Célia Guibbert,
Genre : marionettes
Public : à partir de 7 ans
Durée : 50mn
C’est à Tressan que le monde afflue en ce samedi soir glacial. Le spectacle est au chapeau et les organisateurs ne semblaient pas s’attendre à tant d’engouement.
L’ambiance avant la représentation est cocasse. Nous sommes accueillis dans une toute petite pièce de la mairie et la surpopulation amène à ouvrir les fenêtres. Cela devient de plus en plus convivial. Je salue une vieille connaissance que j'espère voir à la sortie, ce sera peine perdue vu le monde, on se bouscule, on excuse le coude enfoncé dans les cotes flottantes, le : « je vous prends le manteau qui gêne pour l’accrocher…au robinet de l’évier qui fuit ? ».Je pense alors qu’il va falloir oublier le confort des salles de spectacle habituelles. Le manque de place occasionne le dialogue : « cela ne vous dérange pas madame que je m’installe sur vos genoux ? En tout bien tout honneur bien sûr !! », « Papa !!! Y a un monsieur qui dit qu’il a 6 ans et donc qui peut s’installer devant !!! Maintenant j’y vois pu rien !! ». (Ndla : j’exagère à peine)
L'organisateur indique une potentielle sortie de secours inaccessible, et là !!! Panne de courant !!! Quelques bricoleurs tentent d’arranger cela et soudain, une dame claironne qu’elle a débranché la prise par inadvertance !! Ce serait donc un spectacle participatif ? Situation cocasse qui me donne le sourire aux lèvres, et je me dis que la représentation a intérêt d’être prenante afin de tenir tranquille la dizaine de gosses mal assis et leurs parents asphyxiés.
Et bien ce fut le cas, ce spectacle est hypnotisant, magique, je n’ai pas de mots…enfin si car c’est mon rôle d’écrire, de raconter et aussi c'est un peu le thème du spectacle…
Deux mondes s’identifient devant nous, deux mondes de papier, des décors simples et parfaits, une table à bascule faisant apparaître et disparaître ces univers. Un où la vie semble terne, terrifiante, où règne une « dictature » symbolisé par un vent puissant et séparateur d’un deuxième monde libre, expressif. Trois marionnettes, un vieil homme soumis, une jeune fille intrépide et un jeune homme libre. Pas de hasard tout est calibré, la prouesse des marionnettistes consiste à jouer de leur corps pour ne faire qu’un avec leur personnage.
Tout d’abord nous plongeons dans un monde tout blanc, où le son est présent mais pas la parole, pas de mots, l’ennuie est prépondérant, une petite fille tente de tromper sa mélancolie, elle joue…avec rien, elle veut chanter, s’exprimer, mais non, dans ce monde, c’est interdit. Les moulins à vent surveillent, veillent à l’équilibre fade et font s'envoler les rêves. Ils ont le pouvoir sur l’homme, le pouvoir de faire régner la peur afin de scléroser la moindre envie de déroger aux règles.
Mais l’amour est là, et la soif de liberté aussi…La jeune fille s’envole…vers un pays différent, rempli de mots, de couleurs, de dessins, de jeux. Elle fait une rencontre, un jeune homme et un stylo, cela changera sa vie. Elle tentera coûte que coûte de faire découvrir cette nouvelle façon d’agir, de penser, d’être, à tous ceux que l’indépendance de la pensée terrorise. S’exprimer comporte des risques, et tel Socrate, elle a su les prendre.
Ce conte confirme que la liberté est précaire et que le droit de s’exprimer est avant tout un devoir pour chacun. Je suis libre d’écrire des mots, des histoires, pour rire, pour ne rien dire, pour jouer, pour décrire, pour rêver, pour aimer, pour raconter, pour laisser une trace, pour exister…
Je me dis que la censure propose un cadre à la liberté d’expression… mais pour faire un cadre, il faut bien un crayon…
Enfin, ce spectacle poétique est émouvant, beau et engagé. La compréhension fine de l’histoire est peut-être un peu compliqué pour les enfants mais cela amène les échanges à la sortie et c’est peut-être là aussi l’objectif de ce spectacle !
Laurence MALABAT