En chemin
12 janv. 2020Un spectacle produit par Cie SIC.12, La «S» Grand Atelier (B) (13) et vu au Théâtre des Halles le 22 novembre 2019.
Conception et mise en scène : Gustavo Giacosa
Comédiens : Kostia Botkine, Fausto Ferraiuolo, Gustavo Giacosa, Akira Inumaru, Philippe Marien et Francesca Zaccaria
Durée : 1h05
Genre : Théâtre tout public
Se mettre en chemin, être en chemin, être un chemin, aller vers, aller contre, s'avancer, avancer. L'oeuvre de Gustavo Giacosa place le destin à la croisée de l'individu et du mouvement dans une succession de tableaux oniriques, un voyage vers la pureté.
Ce n'est pas vraiment l'histoire d'un pingouin rejeté par une famille de pingouins et ce n'est pas non plus l'histoire d'un humain rejeté par une famille d'humains qui met un masque de pingouin pour trouver une famille de pingouins. Ce n'est pas vraiment dans sa tête et ce n'est pas vraiment pour de vrai. Rien n'est vraiment définitif, tout est en route - dans l'esprit du spectateur comme dans celui du personnage principal. Ne pas immerger le public dans une intrigue définie, c'est donner libre cours à toutes les possibilités poétiques de la scène. Qu'y a-t-il au plateau ? De la danse, du piano, de la pantomime, des tissus, des formes et du mouvement. L'apparition de la vierge fait suite au pool dance, le pingouin ne parvient pas à s'intégrer dans un repas de famille mais rencontre une tortue. Les langues se mêlent, les face-à-face émerveillent. « En Chemin » est une collection de moments humbles et justes dans leurs intentions.
La mise en route n'est cependant ni naïve ni gratuite. Le jaillissement répond à l'urgence de dire, de partir, de rejoindre. Le combat n'est pas gagné d'avance : il faut tenter de trouver le lieu ou l'état où l'on a le droit d'être soi-même, il faut donc aussi se trouver soi-même et faire le pari d'un accord possible. L'individu est en manque d'identité, d'altérité, et ce manque appelle nécessairement une réponse. Les cauchemars affluent, dissipés par des lumières inattendues, une main sur une épaule ou un regard profondément adressé. Le chemin n'est pas une fuite mais la difficile progression d'un personnage vers nous. Comment rester indifférent face à l'espoir d'harmonie ? À notre tour de nous mettre en route vers celui qui cherche une place à nos côtés, et par là-même de nous changer, de nous étendre.
Quoi de plus politique qu'un spectacle qui nous désarme face à l'Autre, et nous prépare à l'accueillir ? Ce théâtre agit humblement, loin d'une complaisance prétendument politisée vouée à ne pas dépasser la simple revendication. J'avoue avoir eu quelques à priori à ce sujet. Certains comédiens sont en effet en situation de handicap. J'avais peur d'assister à un spectacle « concept » où ces comédiens auraient été instrumentalisés, réduits à leur handicap. Je suis heureux d'avoir été détrompé. Les comédiens sont tous présents en tant que tel et au même titre. Leur travail se nourrit d'expériences et d'attentes singulières, sans hiérarchisation. Et quoi de plus universel que cette question, précisément, de la différence et de la singularité ?
Un très beau bord de scène a suivi la représentation. La rencontre entre le public et les artistes était d'un naturel confondant, dans un respect et une reconnaissance très pure de l'autre et de son travail. Le spectacle n'y était pas pour rien... Je le conseille à tous ceux qui espèrent la beauté d'un regard sincère qui confirme : « tu as le droit de jouir du sentiment d'exister ».