Mille et une nuits
02 mars 2020Un spectacle produit par la Cie Midiminuit (93) et vu à la comédie de Valence le 8 janvier 2020.
Mise en scène : Guillaume Vincent
Texte : Guillaume Vincent, adapté des 1001 nuits
Interprètes : Alann Baillet, Florian Baron, Moustafa Benaïbout, Lucie Ben Dû, Hanaa Bouab, Andréa El Azan, Émilie Incerti Formentini, Florence Janas, Makita Samba, Kyoko Takenaka, Charles-Henri Wolff
Durée : 3h avec entracte
Genre : Théâtre adulte (à partir de 14 ans)
L'heure n'est pas au fatalisme réaliste ou au théâtre moralisateur ! Avec les 1001 nuits, Guillaume Vincent offre un bouquet de rêves à la barbarie. Spectaculaire et réjouissant, il ne lasse pas de creuser et d'actualiser les interrogations des contes de Schéhérazade.
La pièce s'ouvre en grandes pompes funèbres avec les mises à mort successives des épouses du sultan Schahriar. Pas de texte - pas encore ! - mais un visuel précis et élégant dans une esthétique de cinéma d'horreur : mécanique sonore infaillible, décor qui avale les personnages à grands coups de portes battantes, les mariées dansent et ouvrent le bal. Ne pas mettre ses doigts dans cette porte ouverte vers le théâtre à effets qui se referme aussitôt pour une narration plus apaisée aux accents de vaudeville. Les danses rivalisent d'inventivité avec les chants, et les chorégraphies de combat, et les imitations... Et l'on voyage encore, vers la Bretagne, au Caire, à Paris, à travers des époques et des folklores tout à fait différents ; on ne peut pas s'appuyer sur la narration qui s'enfonce dans les mises en abymes ou les méandres des intrigues parallèles.
À quoi se raccrocher dans ce joyeux chaos (qui semble étrangement se diriger vers un cap bien précis) sinon au bastingage de la langue ? La langue de Schéhérazade, qui teinte l'ancestral de modernité et révèle dans le contemporain une profondeur mythique, porte une vitalité remarquable. Elle prend plaisir à nommer tout ce qu'elle rencontre, elle en cisèle les contours puis délaisse avec légèreté un sujet pour un autre. Le décor possède le même dynamisme - car il est lui aussi une forme-sens, un cadre mouvant, le théâtre du rêve.
Si les 1001 nuits sont multiples, elles convergent tout de même vers une inquiétude centrale : le sultan laissera-t-il la vie sauve à Schéhérazade ? À quoi sert cette effervescence si elle n'aboutit qu'à sa mort ? La conteuse n'a de cesse de repousser la question en proposant de nouvelles histoires. Le détour n'est alors pas qu'un voyage de plaisance, mais la tentative désespérée d'échapper à la barbarie - voire de la vaincre à force d'écoute. Après tout, nous sommes le sultan, nous aussi. Nous écoutons, nous suspendons notre jugement le temps de la représentation. Le théâtre est une question de vie ou de mort (Pierre Notte le dit mieux : « Acteur, soit tu atteins au sublime, soit tu vas mourir et nous tuer ») et les comédiens réussissent le pari de s'engager dans ce combat. Combat pour nous charmer et nous désarmer face à la sagesse que renferment les contes, surtout lorsque ceux-ci n'invitent qu'à leur laisser la vie sauve.
1001 nuits condensées en 2h30, cela nous donne une pièce spectaculaire et intelligente, haute en couleurs, que je recommande sans hésiter !
Mathieu Flamens