A bien y réfléchir, et puisque vous soulevez la question, il faudra quand même trouver un titre un peu plus percutant ou La sortie de Résidence
15 juil. 2020Un spectacle produit par la Cie des 26 000 couverts (21) et vu à la Garance le 14 février 2020.
Mise en scène : Philippe Nicolle
Texte : Ecriture collective sous la direction de Philippe Nicolle avec la participation de Gabor Rassov
Interprètes : Kamel Abdessadok, Christophe Arnulf, Aymeric Descharrières, Servane Deschamps, Sébastien Chabane, Olivier Dureuil, Anne-Gaëlle Jourdain, Erwan Laurent, Michel Mugnier ou Hervé Dilé, Florence Nicolle, Philippe Nicolle ou Gabor Rassov, Laurence Rossignol
Durée : 1h45
Genre : Théâtre de rue en salle
“On m’arnaque.”, je pense dès le début du spectacle, que l’on me présente comme une balbutiante sortie de résidence dont il faudrait excuser les ratés. “Je suis sûr qu’on m’arnaque.” Et j’adore qu’on m’arnaque. Ne vous laissez pas tromper par leurs airs de gaffeurs amateurs, les 26 000 couverts sont de véritables virtuoses du comique.
Il s’agit avant tout d’un spectacle sur la mort au théâtre - non, il aurait dû s’agir d’un spectacle sur la mort au théâtre, s’il n’y avait pas eu quelques couacs ou problèmes techniques ou décès sur le chemin. C’est la première, l’affaire est sérieuse, on ne rit plus. Qu’importent les embûches, les 26 000 couverts sont en roue libre, bien décidés à trouver mille parades pour dévaler la pente de la catastrophe. L’engagement des comédiens dans chaque proposition est total. Toute tentative ne sera abandonnée que lorsque le ratage sera un succès phénoménal. “Essayer. Rater. Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.”, dit Beckett. Il s’agit bien de tout rater. Rien ne doit tenir debout, ou bien c’est un pur hasard et les comédiens sont les premiers à s’en étonner. Dans ce jeu de massacre, les 26 000 parviennent à rater avec virtuosité, ce qui les rend invincibles puisque l’échec devient une réussite et la réussite reste couronnée de nos rires. Le théâtre tout entier est brûlé par les deux bouts pour ce grand feu d’artifice : spectaculaire, ombres chinoises, chanson pédagogique, opérette, lecture théâtralisée… Tous les genres et les esthétiques sont passés à la moulinette au plateau, dans une gestion du rythme affolante de vivacité. Soudain un nouvel accident vient interrompre la représentation, le public est en déroute, “Nous aussi!” s’écrient les comédiens.
“Mais est-ce que ça fait partie du spectacle ?” se demande-t-on à chaque instant. Aucune importance, tant est remarquable leur sagacité à faire feu de tout bois, que l’accident soit réel ou prévu. Et puis si nous allons au théâtre, c’est sans doute parce que nous avons plutôt besoin de surprise et d’inattendu que de réel. Avec les 26 000 couverts, nous sommes en quelque sorte en sécurité car le rire provoqué par le spectacle est toujours émerveillé, plutôt poétique que cynique, dans une dérision constante qui n’humilie jamais. Bien sûr, nous sommes parfois à la frontière de l’angoisse (n’est-ce pas dangereux ? Faut-il s’inquiéter ? Suis-je le dindon de la farce si je m’inquiète alors que je suis au théâtre et que tout est pour de faux ?) mais le malaise est toujours habilement dosé pour n’être jamais insidieux. Finalement ce n’est peut-être pas tant la mort que le pire qui pourrait être le motif central de la pièce, le malaise d’un accident toujours possible mais jamais prévisible dont il est possible de rire, encore et encore, jusqu’à faire pousser des ailes à la gravité.
A bien y réfléchir, je vous conseille d’aller vous faire fendre la poire par les 26 000 couverts au moins pour la surprise de tous les effets et procédés que je ne saurai évoquer sans les gâcher. Au moins pour la superbe interprétation écocitoyenne de la chanson du Hérisson et du Lapin.