Cyrille Elslander et Hélène Megy parmi les pièces de théâtre. Crédit : Valérie Le Parc

 

 Je retrouve aujourd’hui Hélène Mégy, et Cyrille Elslander à la bibliothèque Armand Gatti à la Seyne-sur-Mer. Cyrille Elslander est directeur de la bibliothèque Armand Gatti et directeur adjoint du Pôle scène conventionnée d’intérêt national Art en territoire ; Hélène Mégy est chargée  du secteur livre de la bibliothèque et comédienne. Depuis 2019, le Pôle crée la Saison Gatti à qui les institutions et la compagnie Orphéon confient les clés et le projet de la bibliothèque Armand Gatti.

 

Mathieu Flamens : Dites, je me suis perdu… Où sommes-nous ? 

 

Hélène Megy : On est à la Bibliothèque Armand Gatti, située 5 place Martel Esprit à la Seyne-sur-Mer !

Cyrille Elslander : C’est une bibliothèque de théâtre (de prêt et de conservation), avec un fond assez exceptionnel puisqu’il contient près de  22 000 ouvrages de théâtre. C’est un lieu assez spécialisé, dans cette magnifique bâtisse du XVIIIe siècle qui accueille aussi des résidences d’écriture au deuxième étage. 

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La bibliothèque vue depuis la place Martel Esprit. Crédit : Le Pôle

 

M. F. : Mais pourquoi venir écrire du théâtre dans une bibliothèque ?

 

H.M : Il y a un appel à résidence : chaque année, la bibliothèque propose des résidences d’écriture pour les auteurs de théâtre. 

C.E. : On a deux types de résidence. Tout d’abord il y a quatre résidences d’écriture dramatique, assez longues, d’un mois chacune. On reçoit des auteurs en train de finaliser un texte théâtral, que l’on accueille avec une subvention qui leur permet de s’installer et de finir l’écriture de leur pièce. C’est une démarche volontariste, avec des subventions qui nous viennent du Ministère de la Culture, de la Région, du Département, de la Métropole, de la Commune, qui nous permettent de les aider dans ce projet d’écriture. Évidemment, aider des auteurs, c’est un projet qui est large : la BAG a pour mission de défendre la lecture et l’écriture dans sa spécialité qu’est le théâtre.

 

M.F. : Et la deuxième ?

 

C.E. : Nous accueillons des compagnies qui viennent écrire pour l’espace public, des compagnies qui écrivent pour la rue. Ces compagnies viennent au début de leur projet pour construire leur projet (par exemple cette saison nous avons accueilli Maëva Longvert pour Nyctalope, un spectacle qui défend une parole, une présence, une prise de parole des femmes dans l’espace public). Le théâtre, c’est l’idée de mettre des mots dans l’espace public, et nous voulons les sortir, les mettre dans la rue. Françoise Trompette et Georges Perpès ont créé ce lieu il y a un peu plus de vingt ans, avec une compagnie de rue, la Cie Orphéon. C’était l’occasion pour nous de continuer cette histoire. 

H.M. : On voit cela par les lectures en public. Les gens viennent écouter les lectures de l’auteur en résidence et découvrir le lieu. 

C.E. : On soupçonne souvent assez peu ce qui s’y passe. C’est un lieu qui vit énormément ! Il y a toujours un auteur de théâtre, des jeunes du conservatoire qui viennent découvrir le lieu. Il y aussi une salle au premier étage qui sert d’exposition. Finalement c’est un lieu qui est assez Vivant....et en même temps c’est une forteresse ! Même par temps de pandémie, la BAG continue d'accueillir des résidences d'écriture.

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Crédit : Le Métroplitan.fr

 

M.F. : Si le théâtre existe sur scène voire dans la rue, qu'est-ce que ce lieu peut avoir de théâtral ?

 

C.E. : Il y a eu une politique volontariste très forte dans le théâtre, avec de grands noms comme Vitez, Vilar etc…. mais il ne faut pas oublier que ce qui fait théâtre, au départ, c’est la rue.  Le saltimbanque, c’est celui qui saute sur un banc pour faire de la publicité au chaland ! Et petit à petit on l’a oublié, au point qu’on en vienne à ce que beaucoup de gens hésitent à pousser la porte d’un théâtre - peut-être moins la toile d’un chapiteau, qui demeure assez forain. C’est un endroit qui, pour eux, ne leur appartient pas. Il faut avoir l’humilité de se dire qu’il y a tout un tas de gens qui n'entreront jamais dans un théâtre de leur vie. Sortir le théâtre dans la rue, c’est déjà un acte fort - et cela suppose beaucoup de contraintes ! C’est un endroit où l’on arrive finalement sous le prétexte qu’on organise une fête, quelque chose qui est accessible à tous. Il y a beaucoup d’accents dans le théâtre - le théôtre ! - et nous faisons tomber tout ça. Je suis attaché au théâtre de rue, c’est un lieu de réconciliation - bon j’ai du mal à dire que tout est politique, c’est d’abord un événement festif, et c’est un acte fort de réconciliation des gens.

H.M  La rue peut amener des gens qui ne l’auraient pas fait avant à pousser la porte d’un théâtre. Avec la pandémie, on a quand même pu travailler dans l’espace public - ce qu’on a toujours fait ! On a organisé des spectacles en centre-ville, sur cette place (entourée de gens qui à priori ne s’intéressent pas du tout au théâtre) et les gens étaient aux fenêtres ! Sur le 1er trimestre de cette saison nous avons proposé Histoires cachées du Begat theater, L’Avare d’après Molière par le collectif du Prélude.

C.E. : Un autre volet concomitant, c’est d’aller dans les établissements scolaires. C’est difficile : le public qui est là n’a pas choisi d’être là ! On dit que c’est un public captif, on essaie de le rendre actif ! Pour nous, c’est fondamental. Autour du spectacle, il y a une rencontre avec une équipe, des techniciens... Dans certains cas comme pour l’opération du Prix de la pièce contemporaine du jeune public, on amène des pièces dans les classes et les élèves choisissent celle qui leur semble la meilleure. Nous menons de nombreuses actions pour aller défendre le texte et la prise de parole en public. Cette année, nous avons 43 classes pour ce projet ! Nous avons un beau projet qui s’appelle “L’art de dire” (concours d’Éloquence), un autre autour de l’art de la rue appelé “Occuper la rue”. Un certain nombre d'actions sont adressées aux publics en scolaire. Cela nous permet d’aller à la rencontre des jeunes. Ce sont des pièces d’aujourd’hui, ancrées dans notre actualité. C’est une vraie opportunité pour nous  le seul lieu où l’on peut encore travailler librement, ce sont les écoles ! C’est l’endroit d’un lien assez étroit avec ce public. 

 

M.F. : Mais pourquoi faites-vous cela ? Pour les autres ?

 

H. M. : Parce qu’on aime ça, et qu’on avait besoin de le partager ! 

 

C.E. : Je sais pourquoi je fais cela. J’ai découvert le théâtre assez tard, en seconde ou en première. C’est l’école qui m’a amené pour la première fois au théâtre. On nous avait emmenés à la Criée voir Les Paravents de Jean Genet, mise en scène par Marcel Maréchal. Cette pièce a été un vrai choc culturel, esthétique, politique, qui a fait que j’ai continué à aller au théâtre. Cela peut se produire. Pour l’un d’entre eux, deux si l’on est très fort, cela peut se produire. La médiation, c’est comme l’apéritif : le repas nous échappe, mais si l’on arrive déjà à mettre en appétit c’est énorme ! Cela procure une vraie satisfaction. Quand on a monté l’Avare, des gamins rodaient sur la place avec des trottinettes. Et au bout d’un moment, après avoir perturbé le spectacle - ce qui tombait bien, ce spectacle est parfait pour ça ! - ils se sont assis avec nous. Peut-être qu’à cet endroit, un intérêt - qui sait, une vocation - peut naître. Et puis un théâtre, c’est un univers : des spécialistes des chiffres, des lettres… Ici on est tous les deux, mais seize personnes travaillent au Pôle. On a vraiment envie de partager ça parce que c’est un univers qu’on aime et qui nous est cher.

 

M.F. : C’est gentil de nous accueillir, mais… On est chez qui au juste ? Lieu public, privé ?

 

H.M. : On est chez vous !

C.E. : La ville met gracieusement ces murs à notre disposition, et nous subventionne. Le Pôle est une association de loi 1901 dotée de plusieurs branches : écritures contemporaines et arts de la rue, cirque, jeune public… Mais ces ramifications sont étroitement liées. Par exemple, Jalie Barcilon est venue ici écrire Tigrane.

H.M. Puis elle est éditée. Les élèves votent lors du prix de la pièce jeune public, Tigrane est sélectionnée. Parallèlement à ça, elle monte ce spectacle à Paris… 

C.E. :...et dès que possible elle revient ici présenter son spectacle au Pôle ! Il y a une sorte de cercle vertueux. 



 

M.F. : Mettons que par-dessus la pandémie on rajoute un incendie…et qu’il ne reste plus qu’un seul texte ! Lequel sauver ?

 

H.M. : Ah ! Jamais de la vie ! 

C.E. : On peut répondre à plein d’endroits ! Il y a des ouvrages très anciens, rares, dans la réserve, qui ont une dimension patrimoniale. D’autres ont une dimension affective forte.

H.M. : C’est exactement la question que pose la pièce By Heart de Tiago Rodrigues (habile, elle sort le livre d’un rayon sans avoir à chercher). Candida va mourir et décide d’apprendre un dernier livre par cœur. Quel dernier livre choisir ?

C.E. : J'adore Koltès, Genet… Mais je crois que s’il n’en restait qu’une, je prendrais Le tour complet du cœur, tout Shakespeare en 1H30, de mon ami Gilles Cailleau. Je l’ai vue une vingtaine de fois, on a, il y a quelques années, programmé la 500e représentation. Dans cette pièce, il y  a tous les univers que j’aime dans un univers forain. On traverse tout l’univers de Shakespeare avec beaucoup d’humour. 

 

M.F. : Tous les lecteurs peuvent-ils trouver leur bonheur entre vos murs ?

 

H.M. : Mais bien sûr ! Deux personnes sont entrées au hasard sans savoir que c’était une bibliothèque de théâtre, et je leur ai conseillé des pièces. La semaine dernière, l’un d’eux est revenu en me disant qu’il avait adoré et qu’il m’en demandait une pour sa fille !

C.E. : Ce qui est intéressant pour les jeunes, c’est aussi le format. Une pièce, cela nous prend une heure ! 

H.M. : Ce n’est pas plus long qu’un manga ! Pour eux, les lectures de théâtre à l’école restent encore Hugo, Corneille, Racine… 

C.E. : Ça change un peu : l’Education nationale aujourd’hui choisit des pièces de théâtre contemporain déclarées “auteurs en recommandé”. Par exemple, Eugène Durif (actuellement en résidence à la BAG) est en recommandé dans les manuels pour sa pièce La Petite histoire. Nous avons la volonté de casser l’idée que le théâtre, c’est Molaire et Racine comme disent les Inconnus !

 

La Bibliothèque de théâtre Armand Gatti (BAG), est ouverte au public le mercredi et vendredi de 10h à 18h pour vos consultations de textes de théâtre sur place ou à emporter.

La carte d’adhésion d’un montant de 20 euros, est valable un an.

5, place Martel Esprit 

83500 La Seyne-sur-Mer.

 

https://www.le-pole.fr/la-bibliotheque-armand-gatti

 

Propos recueillis par Mathieu Flamens.

 

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