Angels in America
01 août 2021Compagnie Philippe Saire (CH) Vu à la Manufacture lors du festival d’Avignon OFF, entre le 7 et le 25 juillet 2021, à 21h30
Auteurs : Tony Kushner, Pierre Laville
Metteur en scène : Philippe Saire
Interprète(s) : Adrien Barazzone, Valeria Bertolotto, Pierre-Antoine Dubey, Joelle Fontannaz, Roland Gervet, Jonathan Axel Gomis, Baptiste Morisod
Création lumières : Eric Soyer
Scénographie : Claire Peverelli
Création sonore : Jérémy Conne
Genre : théâtre contemporain
Public : tout public
Durée : 2 h 30
Dans l’Amérique des années 80, où le grand R de Reagan flamboie, le sida se répand dans les communautés homosexuelles à vitesse grand V. Il y a Prior, jeune, beau, sensible, qui tombe malade et se trouve abandonné tout seul à l’hôpital par son compagnon Louis. Tout aussi jeune, beau et sensible, ce dernier entame une liaison avec Joe, homosexuel refoulé timide et indécis, marié à Hannah, rêveuse lyrique addicte au Vallium, dont le mari, Joe donc, est sous les ordres de Roy Cohn, raciste, homosexuel et homophobe se révélant lui aussi séropositif. Oui, c’est un peu compliqué quand on a pas leurs yeux sous les yeux, de savoir avec précision qui est qui et qui est avec qui.. Les anges ont tressé des ponts entre les cheveux de tous ces personnages aux destinées divergentes.
Alors que la pièce pourrait n’être qu’intime, sociale et politique (et c’est déjà beaucoup), voilà qu’elle se pare d’accents allégoriques et fantastiques. Un ange aux habits de fumée exhorte Prior à devenir prophète, Roy en changeant d’habits devient la mère de ce même Prior, Hannah assiste en compagnie de Prior encore, aux rencontres adultères de Louis et Joe… Non, promis, ce n’est plus aussi compliqué, il faut simplement se laisser bercer par la chorale de ces êtres abandonnés, qui atteint l’apogée de son tragico-comique lors d’une projection faite par Joe, dans une église mormone, de petites marionnettes conquérantes dont on se fiche un peu. Car il faut s’occuper de la grande marionnette empêtrée dans ses fils, s’occuper de Louis qui coupe la séance, couper les liens qui relient Hannah à Joe, Prior à Louis, petites marionnettes qu’on voit seulement parce qu’elles assistent sur scène en secret aux scènes.
Beaucoup de douleur au plateau donc, rendue par un important travail sur la physicalité. Lors des scènes de couple, le corps qui souffre et ne se sent plus aimé au point d’organiser en rêve des voyages avec Mister Lies (monsieur mensonge) s’abandonne aux bras de celui qui abandonne. La chorégraphie qui se construit entre les glissements, les tournoiements, les redressements, est faite en somme de relâchements qu’on oblige et qu’on rattrape. Ce n’est pas un flashmob ni de la haute voltige, c’est un tango maladroit, une valse sans musique, une fatigue qui rebondit encore et encore, parce qu’il est encore temps de parler. Pas impressionnant non, mais précis, si précis et rythmé que c’est beau, surtout quand les couples ont des répliques entremêlées par un rythme propre à leurs dualités. Ce traitement de la douleur et des rapports de domination au sein des couples, induit un décalage, un détachement, un sourire facétieux au drame, également présent dans le texte : “ne vous inquiétez pas, c’est plus grave que vous ne le croyez” dit l'infirmier drag-queen au séropositif. Surtout, l’humour ne jaillit pas uniquement sur fond de malheur : il y a du début à la fin des instants de bonheur pur, à croquer tout entier, avec des sourires déjà pleins.. Quand Louis croque le bout de pain que Joe tient naïvement sur son sexe, quand la neige en sac plastique craque sous les pieds de Hannah, quand le méchant patron craque et laisse l’infirmier prendre une partie de sa réserve de médocs, et puis quand sur les canapés, par-ci par-là, chuchotis confondus en gloussements, ça fait crac-crac.
Dans cette pièce, on rit plus qu’on ne pleure, on pleure plus qu’on ne meurt, et l’amour se cherche une éternité, et les anges nous ennuient, et on y reviendra, in America.
Célia Jaillet