Incandescences
17 août 2021Incandescences
Spectacle de la compagnie Ahmed Madani (93) vu au Théâtre des Halles lors du festival d’Avignon OFF, entre le 7 et le 28 juillet 2021, à 11h.
Texte et mise en scène : Ahmed Madani
Interprètes : Aboubacar CAMARA, Ibrahima DIOP, Virgil LECLAIRE, Marie NTOTCHO, Julie PLAISIR, Philippe QUY, Merbouha RAHMANI, Jordan REZGUI, Izabela ZAK
Genre : Théâtre contemporain
Public : Tout public
Durée : 1H20
A la fin du spectacle, après les applaudissements et les bouquets de fleurs portant le sourire jusqu’aux larmes, Ahmed Madani remercie tous ceux qui lui ont fait confiance et lui ont permis de mener à bout ce projet, parce qu’au début, il ne savait pas vraiment de quoi parler. Il savait seulement qu’il voulait donner la parole à ceux qu’on n’entend pas souvent, pas assez, les jeunes des quartiers. Il en a rencontrés et recueilli leurs témoignages pour composer un texte souvent intime, poignant et drôle.
Porté sur le plateau par neuf interprètes, le texte nous parle d’amour, de sexualité, d’héritage, de religion, d’amitié, mais surtout d’amour. De l’amour qui les a fait naître, de l’amour qu’ils recherchent (« s’il y a une fille dans la salle qui serait intéressée par moi elle peut me contacter à ce numéro 0646… »), de l’amour qu’ils ressentent, partagent ou ne pas partagent pas, et de tout ce qui entoure et prépare cet amour (« bonjour madame, c’est quand la première fois que vous vous êtes masturbée ? », « je peux danser avec toi ? », « tu m’aimes ? »)
L’oralité du texte permet aux comédiens d’adopter un ton très naturel, décontracté, sans que les corps ne se relâchent ; ils se tiennent et dansent en groupe, par couples ou non, au devant de la scène ou dans ses marges pour donner du rythme aux transitions. Il n’en manque jamais, du rythme. Outre les chorégraphies et les chants d’une justesse saisissante, tout un jeu de pantomime se déploie, souvent avec subtilité lorsqu’il s’agit d’abattre les tabous sur les manières de faire l’amour (voilà comment papa-maman m’ont fait) mais avec un peu de lourdeur lorsqu’un comédien se laisse entraîner par son personnage de religieux (répétition en long, en large et en travers d’une prière) : les autres comédiens sortent de leur rôle pour le faire sortir du sien, et moi je n’aime pas trop cette sorte de comique qui brise le théâtre parce que nous aussi on doit sortir de leur histoire pour faire semblant de rire.
Mais il y a tant de belles trouvailles scénographiques qu’on pardonne aisément ces quelques facilités comiques : très belle scène dans laquelle une myriade de téléphones portables éclaire les visages de ces amoureux transis, torturés par la distance et qui font un téléphone arabe dont le volume augmente, se disperse avant de se transformer en cacophonie. Superbe trouvaille aussi que ces cartons cadrés par le bord de la vidéo dans lesquels les comédiens en proie à quelque chose sont repliés. En proie à quoi ? Au doute, à la peur, à l’espoir ? En proie à quelque chose qui pourrait être un regard, une question, une indécence ou une incandescence qui aveuglerait tout en offrant le pouvoir d’éclairer.
Célia Jaillet