L'homme qui dormait sous mon lit

Spectacle de la Cie Scène et Public (75) Vu au Théâtre des halles lors du festival d’Avignon OFF, entre le 7 et le 30 juillet 2021, à 21h30

Durée : 1H20

Public : Dès 12 ans

Genre : Théâtre contemporain

Texte et mise en scène : Pierre Notte

Interprètes : Muriel Gaudin, Silvie Laguna, Clyde Yeguete

Quand vous étiez petits, il y avait un monstre sous votre lit et maintenant que vous êtes grands c’est un migrant. Poli, conciliant mais terriblement encombrant, là, toujours là à essayer de s’asseoir sur la chaise qui trône au milieu du plateau et qui vous appartient. C’est votre place, votre espace, mais lui n’en a pas ? Fallait pas fuir à la première fissure, regarde il y en a une dans le mur et moi je reste. Lui aussi doit rester, sinon bye bye les allocations. Il faudra accepter de lui faire du thé et de se faire corriger ses fautes de syntaxe, il fera pousser à votre insu des plants de tomates sous votre lit, oui “les gens qui voyagent ça n’a pas de terre mais ça fout de la terre partout”. Bref il faudra le surveiller sauf quand il s’apprêtera à sauter par la fenêtre parce qu’on reçoit une prime de l’Etat si notre migrant se fout en l’air tout seul comme un grand. Mais attention il va en foutre de partout et puis “abîmer mes pensées à hésiter encore entre le dedans et le dehors”, oui c’est très compliqué, je peux vous dire que ça fait passer l’envie d’en accueillir un chez vous.

 

Heureusement pour adoucir les deux fauves, car il y a bien deux fauves, le migrant n’est pas misérable mais drôle et intelligent, une modératrice ouvertement comédienne (Muriel) fait son entrée et leur propose une série d’exercices assez extrêmes (attouchements, mise à nu) qui ajoutent au cynisme ambiant de la pièce une rigolote touche d’absurde. Entre la terre dans le thé, les faux-meurtres, les faux-suicides et les chaises musicales sans musique, nous rions et entre nos dents se posent sur leurs chaises quelques questions : qui est le migrant de qui ? comment accueillir ? trouver sa place ? pourquoi on fuit ? est-ce qu’on peut aimer ce qui ne nous ressemble pas ? est-ce que Pierre Notte va nous répondre ? que peut le théâtre devant la morale et la politique ? Pas grand chose, alors autant se mettre sous le lit mais surtout ne pas s’endormir : si on ne peut pas répondre, on peut toujours faire gargouiller son ventre.

 

La pièce bien campée sur son parquet, “le seul qui craque tout seul”, elle regorge d’images, de métaphores, de danses et de jeux de mots : tout s’agite, même pas besoin du séisme qui surgit pour être remué, on est déjà “trop secoués pour sentir une secousse” tant et si bien que le quatrième mur finit par tomber sans même qu’on se sente épiés : pour autant, sommes nous à la bonne place ? J’ai espionné Pierre Notte à la sortie qui a murmuré je cite : “j’ai monté cette pièce parce que j’avais honte” mais subtilité suprême, cette honte reste tapie sous une nappe de poésie et d’humour, s’oublie derrière l’élégance et la complexité des personnages, donc pas un coup monté, cette pièce mais délicieuse pièce-montée, vous pouvez donc monter le son de la non-leçon !

 

Célia Jaillet

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