Crédit : Michel Devijver

Crédit : Michel Devijver

Grief and beauty

Un spectacle produit par le NTGent , vu le mercredi 17 novembre 2021 à la Condition Publique de Roubaix dans le cadre de la saison nomade de la Rose des Vents (59). 

 

 

Mise en scène : Milo Rau

Interprètes : Arne De Tremerie, Anne Deylgat, Princess Isatu Hassan Bangura, Staf Smans

Création sonore et musique live : Clémence Clarysse

Création lumière : Denis Diels

Genre : théâtre

Public : tout public dès 14 ans

Durée : 1h35

 

 

Je trouve ça difficile de parler d'un tel spectacle. C'est le sujet lui-même qui étouffe un peu les mots dans la gorge. Il s'agit de la mort. Non pas la mort en elle-même, grande faucheuse de noire vêtue, mais la mort pour les autres : pour le défunt, pour celui ou celle qui va mourir, pour les proches, pour ceux qui ne savent pas bien ce que c'est (moi).

 

Puisque la mort ne me parle pas, je préfère ne pas parler de la mort et me concentrer sur le spectacle. Milo Rau, j'avais déjà vu son travail pour la Reprise ("reprise" avec casting, procès et mise en scène du meurtre à caractère homophobe du jeune Ihsane Jarfi). Point de jeunesse triomphale fauchée en plein vol : ici, nous faisons face à un petit appartement adapté pour un malade veillé par ses proches. Lumières douces, calmes, qui viennent en partie du plateau et nous éclairent un peu. Pas de vacarme, pas de religiosité trop austère non plus, on s'autorise quelques rires, on prend le temps de se souvenir et de parler d'autres choses que de la mort, tout de même. Du Petit Prince notamment, que le petit fils avait joué étant petit, il était drôle, on joue à se fabriquer des souvenirs de cette fois-là ou de cette autre. Il y avait cette scène, entre le Petit Prince et le serpent, qui le mord pour le renvoyer dans un autre monde. Touchantes dans leur maladresse, les métaphores nous ramènent au sujet : ce lit d'hôpital, cet homme, son corps, son âge et les souvenirs qu'il charrie, et qu'il oublie sans doute tant qu'on ne les raconte pas. On sait qu'il faudra se taire, ce sont les lumières qui nous l'apprennent. Elles vacillent.

 

On continue d'attendre, de regarder passer le temps. C'est un peu long, c'est normal, la mort réaliste n'obéit pas au rythme habituel des histoires. Cela va arriver, on ne sait pas vraiment quand, alors on se relaie pour l'attention - d'autant que ce n'est pas toujours simple de passer sans cesse du français à l'anglais et au flamand, de la bouche des comédien.nes aux écrans de surtitrage. On suit, on tient, on s'adapte, et par cela-même on est ensemble avec cet homme. Avec cet homme, et avec une femme aussi, qui n'est pas là. Martha a choisi sa mort, et le regard qui l'accompagnerait : son euthanasie a été filmée par Milo Rau. Son visage s'étend en hauteur au dessus d'une scénographie plutôt horizontale. Appartement taille réelle, visage immense. Présence du théâtre, contrairement au cinéma qui montre des enregistrements passés, déjà fantomatiques. Mais au moment-même où Martha s'éteint, la mort s'impose sur l'écran dans toute sa présence, dans toute sa réalité. C'est drôle, il suffit d'un rien, d'un mort, et le cinéma devient du théâtre.

 

Il n'y a plus "les personnages" et "leurs histoires" et "leurs proches". Il y a le spectacle de la mort, et les vivants qu'elle rassemble. Silence et lumière. Grief and beauty.

 

Mathieu Flamens

 

 

 

Retour à l'accueil