Conversation autour d'un projet de non-spectacle
20 nov. 2022Spectacle de la Cie Pop-Manuscrit (13), vu au Théâtre du Train-Bleu à Avignon le 8 novembre 2022 dans le cadre du dispositif Tremplin Résidence porté par la DRAC.
Écriture et mise en scène : Jesshuan Diné (avec la participation de Cécile Peyrot et Xavier-Adrien Laurent)
Avec : Jesshuan Diné, Cécile Peyrot, Xavier-Adrien Laurent
Collaboration scénographie et création lumière : Dominique Drillot
Création sonore : Yoann Fayolle
Regards extérieurs : Antoine Wellens, Mickaël Huet, Yoann Fayolle, Justine Assaf
Assister à une conversation de trois personnes. On suppose des comédiens. Ceux-ci même peut-être du spectacle « conversation autour d’un projet de non-spectacle » que l’on est venu voir. Ils sont sur scène oui, pourtant la scène n’est pas investie dans sa fonction représentative : la salle est entièrement éclairée, aucun code n’indique que nous sommes en train d’assister à « quelque chose ». Rien qui n’indique un commencement de spectacle. Aucun quatrième mur. Quand donc va-t-il commencer ? Quand ces trois parasites vont-ils enfin s’extraire pour entrer en représentation ? D’autant que, franchement la conversation qui s’initie est au seuil de l’incompréhensible. Celui-ci, là, qui est en train de parler, ne termine même pas ses phrases, ses propos sont inaudibles voire absurde…c’est une blague ?
Non. Et sérieusement c’est très puissant au contraire.
L’absurde continue t il a l’être quand il s’arrime à une posture critique si aiguisée, en vue de précisément cibler juste et fort de sens les absurdies à l’ouvrage dans le monde ? Alors oui le glissement entre réalité et fiction se fait en subtile et intelligente percolation dans notre conscience, et rien que ce mouvement intérieur est exaltant. A l’exaltation ressentie s’associe le jubilatoire du rire (et de ses éclats !!!) et du plein sens, qui, consubstantiellement et nécessairement s’y greffent tant le décalage entre l’attendu sensé et les contresens formels qui s’y déploient pourtant, donne à voir un tragique gravité à l’ouvrage décliné alors dans la légèreté de trois clowns qui nous portent à croire à une toujours possible rédemption par le voile décapant de la lucidité.
On les écoute…
« Donc, il y a simplement ces acteurs sur scène… les acteurs de la discussion… et je crois qu'il faut garder jusqu'au bout cette idée assez radicale du projet que ce spectacle-là a pour particularité de ne rien donner à voir. Rien de rien. A part, bien sûr – les acteurs de cette discussion, précisément, qui discutent justement du projet de projet de spectacle qu'ils sont en train d'élaborer ensemble.
Et... Ils ne donnent rien à voir ?
Oui, ils ne donnent rien à voir. Ils participent au spectacle – enfin ce projet de non-spectacle – et ils en discutent mais sans rien donner à voir. Et c'est peut-être ça, cette situation-là, avec ces acteurs, qui est sujette à toutes les métaphores possibles. Des métaphores possibles de ce rien palpable, le spectacle de ce rien.
Et c'est tout ?
Quelle puissance critique que cette performance faussement improvisée prenant génialement à revers les excès délétères pointés entre autres par la société du spectacle de Debord. Une antiphilosophie du rien qui jouera pourtant pleinement son rôle maïeuticien . "Y a plus rien " de Léo Ferré et « On y voit rien » de Daniel Arasse ne pourraient que très pertinemment trouver leur place. Quelle prodigieuse performance d’acteurs jouant ne pas jouer. Quel enseignement riche d’une esthétique dramatique féconde, aboutie et remarquable dans l’entreprise même de son abolition ! Les contradictions trouvent alors leur dépassement dans la magie alchimiste de nos consciences et de la pensée qui s’y mobilise alors. Retrouver le sens et la valeur du spectacle dans une société qui, le phagocytant, le vide de sa vigueur. Résoudre le problème du spectacle par la vision de la création du non-spectacle, d’un rien, faire un tout sens, en chaque détail que notre pensée questionne et toujours questionnera alors dans ses considérations sociales, politiques, éthiques, esthétiques et philosophiques. Un grand pas accompli par cette proposition vers cette résolution. Mission accomplie aussi de l’insensé pour pallier les insensés. Une « dramaticoméopathie » qui fait du bien et remet la pensée en circulation.
Ludivine Vincent