Oasis de la impunidad

Spectacle vu le 12 juin 2023 dans la cadre du Printemps des Comédiens à Montpellier au Domaine d’O. (Théâtre Jean Claude Carrière)

Avec : Carolina de la Maza, Pedro Muñoz, Diego Acuña, Carolina Fredes, Imanol Ibarra, Nicolás Cancino, Lucas Carter, Mónica Casanueva

Genre : Danse et mime

Public : Adolescents, adultes

Durée : 80 min

Dès l’ouverture, le visuel surprend le spectateur ; En effet ces huit silhouettes, hommes et femmes, dans des maillots de trapéziste scintillants danse un ballet proche du mime.

Evoluant comme un organisme à huit têtes, comme un détachement de forces de l’ordre. Un ordre qu’il faut maintenir. A quel prix ? C’est la question que pose ce théâtre magnifiquement chorégraphié.

Maintenir l’ordre ? Sans remonter jusqu’au temps de la dictature, les Chiliens ont assez de raisons de poser la question. Le pays a eu, et encore en janvier 2019, ses manifestations de masse, ses affrontements de rue, ses saccages et ses violences en bleu (ou quelle que soit la couleur des uniformes). Alors, oui : maintenir l’ordre. Au nom de quelle légitimité ? Comment un Etat démocratique s’approprie-t-il la violence légale ? Qui utilise et contrôle cette violence d’Etat ? Comment fait-elle consensus dans une démocratie ?

Théâtre politique que celui-là, dira-t-on. Par les questions qu’il pose, certes et totalement actuel !

Mais la Compagnie catalane La Re-Sentida développe avant tout une esthétique qui captive le regard : ses huit femmes et hommes en extravagants maillots de cirque se meuvent au milieu de sons étranges, dans un espace indéfini où apparaissent des créatures-monstres, des auteurs de violences, des victimes des précédents… Loin d’un théâtre du réalisme et pourtant si près des questions qui sous-tendent nos vies démocratiques.

Mise en scène étonnante et réussie qui parvient durant les 80 minutes du spectacle à maintenir le spectateur dans un état de tension permanent

Nous étions plusieurs à ressentir cela j'ai questionné d'autres spectateurs à la sortie et tous ont éprouvé le même ressenti… cette tension poussée à son paroxysme qui nous a habité durant tout le spectacle.

Lorsque l’on a été témoin, ou avons des amis chiliens, argentins, basques et espagnoles aux vies brisées sur des générations par les atrocités vécues ; Il paraît alors légitime de hurler à l'injustice généralisée.

Ces danseurs exceptionnels aux grandes oreilles, incarnent des marionnettes soumises au service des tortionnaires les plus abominables.

Là, servilité, soumission sont dénoncées d’autant plus puissamment dans toute leur abjection car elles sont sans aucun ménagement pour le spectateur.

Ces jeunes comédiens révèlent une puissance scénique impressionnante ; Ce sont de fabuleux danseurs, des mimes accomplis au service d'une mise en scène et d'une scénographie ardue, dérangeante, décapante.

L'ultime tableau représente des personnages carnavalesques séquestrés, emprisonnés dans une cage de verre où ils peuvent à peine bouger et essaient de danser sur une cumbia sud-américaine.

Seule externalisation autorisée et possible d'une souffrance extrême omniprésente intergénérationnelle.

Rien n’est oublié des souffrances infligées à nos peuples, peu optimiste mais tellement puissant !

Ce spectacle d'une prouesse énergétique exceptionnelle révèle le talent de ces comédiens, comédiennes, danseurs, danseuses exceptionnels au service d'une création majeure.

L’originalité et la puissance de cette création s’aligne avec le talent évocateur de la cruauté d’un Luis Bunuel, d’un Alexandro Jodorowsky avec là peut-être encore plus de force dans cette fabuleuse création.

Un bravo exceptionnel pour ce travail au théâtre de La Re-Sentida pour la chorégraphie également à Marco Layera pour la mise en scène et la dramaturgie ainsi qu’à l’ensemble de l'équipe ayant collaboré à cette création.

Un spectacle d’une puissance dont on ne sort pas indemne.

Si quelques spectateurs sont sortis de la salle aux premiers tableaux ; Finalement, le public s’est unanimement levé pour applaudir ce spectacle résolument tout en tension interprété de façon particulièrement magistrale.

Gisele lydie Brogi