Les géants de la montagne
28 nov. 2023Spectacle de Lucie Berelowitch vu le 07/10/2023 au théâtre Le Préau (14) à 19h00.
Auteur : Luigi Pirandello
Comédiens : Jonathan Genet, Marina Keltchewsky, Thibault Lacroix et Nino Rocher (en alternance), Baptiste Mayoraz, Roman Yasinovskyi et les Dakh Daughters
Mise en scène : Lucie Berelowitch
Type de public : Adultes
Genre : Théâtre
Durée : 1h45
« Les rêves, la musique, la prière, l'amour, tout l'infini qu'il y a dans l'homme, vous allez le trouver ici, dans la maison.... ». Cela reste à prouver...
Cette mise en scène des géants de la montagne se présente comme une sorte de concert entrecoupé de scènes plus ou moins longues et obscures. Une vague trame globale lie néanmoins le tout : une troupe de théâtre en déroute se réfugie dans une maison pleine de magie et de rêve, un espace symbolique habité par les musiciennes ukrainiennes et les fantômes qu'elles se vantent pouvoir créer. Les quatre acteurs se retrouvent ballotés par les flots impétueux de la Maison, s'abandonnent tour à tour à sa folie pour recevoir et donner des leçons de vie et de théâtre, pour finalement reprendre la route. Il y a aussi une intrigue de poète maudit qu'on peine à saisir, dont je n'ai rien senti et qui ne se conclut d'ailleurs pas, la pièce étant inachevée sans que la mise en scène ne juge bon d'en avertir le spectateur profane.
La musique, forte et belle, parvient pourtant souvent à nous envoûter. Mais le reste ne suit pas et piétine les impressions naissantes que nous transmettent nos oreilles. Le jeu des acteurs français est très peu convaincant, celui des musiciennes ukrainienne un peu plus, grâce à la vigueur de leur mouvement et de leur langue, qui renforce l'aspect mystérieux et exotique de la Maison, mais qui nous force à lire des sous-titres qui défilent trop vite, nous détournant de "la fête pour l'esprit et pour les yeux" que la mise en scène s'efforce de créer. Cette dernière est techniquement réussie : les mouvements sont fluides, s'enchaînent bien (sauf quand les acteurs se mettent à parler) et restent lisibles malgré l'agitation constante. Mais elle n'en reste pas moins décousue et incohérente, focalisée à nous en mettre plein la vue, à coup de surabondances de décors somptueux, de costumes opulents et d'effets scéniques superficiels.
D'ordinaire, je trouve qu'il est très délicat pour l'art de s'auto-référencer, et plus encore de s'auto-analyser. Mais ici, le propos est encore plus ambitieux, si ambitieux qu'il se dilue dans sa propre aspiration. La pièce veut parler du Théâtre avec un grand T, elle veut nous montrer ce qu'il est, ce qu'il peut être ou ne pas être, telle est la question ou la réponse, etc... Elle veut nous montrer tout, absolument tout, un peu comme un cuisiner qui, voulant faire le steak le plus goûtu du monde, aurait mis dans son plat l'intégralité des épices à sa disposition en y oubliant la viande. Au final, on obtient quelque chose d'original et de fourni, mais de vide et désincarné, avec un arrière goût désagréable, un ton mi-péremptoire mi-naïf, quelque chose qui semble vouloir donner des leçons et dénoncer l'ignorance mais qui ne fait que casser maladroitement le quatrième mur. Cela donne l'impression de contempler une bulle d'irréalité percée qui, loin de nous faire voyager, nous dégouline dessus jusqu'à provoquer un sentiment désagréable d’écœurement accentué par l'incohérence non maîtrisée entre l'éloge nihiliste de l'imagination et le faste de la mise en scène.
Au fond, le texte de Luigi Pirandello est arrogant, plein de contradiction, de confusion et de niveau de lecture, ce qui le rend difficile à mettre en valeur, trop difficile à mon goût pour cette troupe qui le sert au premier degré.
Alexandre SAINT-DIZIER