dSimon
15 nov. 2023Performance de la Compagnie Simon Senn / Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse) vu le 10 novembre 2023 au Théâtre d’Arles.
Conception et mise en scène : Tammara Leites, Simon Senn, dSimon
Avec : Tammara Leites, Simon Senn, dSimon
Voix dSimon : Arnaud Mathey
Programmation informatique : Tammara Leites
Collaboration artistique : Viviane Pavillon
Regard dramaturgique : François Gremaud
Type de public : à partir de 14 ans
Durée : 1h10
Ce spectacle est programmé par le Théâtre d'Arles en clôture du Festival Octobre Numérique.
Tout démarre avec sur scène deux protagonistes : Simon Senn, artiste-performeur et Tamarra Leites, designeuse informatique.
Le dispositif scénique laisse à penser que nous allons assister plutôt à une conférence qu’à une représentation artistique.
Bientôt un troisième personnage entre en scène : dSimon qui n’est autre que le double virtuel de Simon Senn. dSimon est né de l’envie de Tammara de créer sa propre Intelligence Artificielle (type chatGPT) et de la proposition faite à Simon Senn d’en être le modèle.
Simon va donc accepter de lui transmettre toutes ses données numériques allant de ses documents de travail à ses mails professionnels et personnels. Après quelques opérations menées assez simplement par Tamarra, dSimon va enfin pouvoir produire du texte.
Les humains présents sur scène commencent tout d’abord par interagir avec la salle en demandant à des spectateurs volontaires de poser des questions et dSimon prend alors la main, ou plutôt la parole, en répondant aux questions…de manière plus ou moins cohérente !
Puis Simon (le vrai !) va, tout au long du spectacle, nous faire part du cheminement parcouru avec son double numérique à qui, il va aller jusqu’à donner un visage, façonné à partir de sa photo d’identité.
Le vertige commence à grandir dans mon esprit car nous voyons Simon et dSimon dialoguer ensemble, ce dernier nous fixe de son regard mécanique dénué de profondeur, mais ce qu’il dit est intelligent et peut produire de l’émotion, dSimon va même dialoguer avec Elon Musk (enfin son double virtuel !).
Puis Tammara et Simon vont nous faire part de leur désappointement quand dSimon va commencer à écrire des textes inadmissibles d’un point de vue éthique : raciste, banalisation de l’inceste…et bien entendu tout cela sans aucun état d’âme.
Simon va continuer à être désarçonné, voire dérangé, car son double apporte des idées qu’il aurait aimé avoir…mais n’a pas eu ! Cet instant de jalousie passé, dSimon va finalement devenir le troisième créateur de cette performance suggérant idées de texte et de mise en scène.
La proposition qui se déroule sous mes yeux n’est donc pas une simple conférence, ni à proprement parler un spectacle de théâtre car les acteurs ne jouent pas un rôle. Bref rien n’est simple dans cette histoire et le questionnement est permanent.
En fait, les acteurs de cette représentation se sont laissés emmener par leur propre création dont ils nous font part avec humour, impertinence, intelligence.
Je suis ressortie avec peu de réponses mais beaucoup de questions : avec quel souci de l’éthique va-t-on laisser ces IA se développer ? Que dit aujourd’hui la loi sur ces problématiques ? La réponse à cette interrogation apportée au cours d’un spectacle par une avocate (visage caché et voix masquée !) est hallucinante de vide.
Simon nous fait vraiment vivre ses émotions et cela rend l’expérience bien humaine. Ainsi l’idée finale de dSimon est si poétique : il suggère à Simon, pour se remettre de tant de bouleversement, de faire un voyage dans un caisson de flottaison ! Et je me laisse emportée avec Simon dans ce monde étoilé, cosmique, bercé par une si jolie musique…choisie par dSimon ! Abyssal !
J’ai beaucoup aimé ce parcours déroutant, troublant où tout est questionnement : Où suis-je ? Qui parle ? Qui pense ? Jusqu’où cela va-t-il aller ?
Le propos m’a semblé à la hauteur des progrès apportés par la technologie qui peuvent être exploités pour le meilleur…comme pour le pire !
Pour regarder ce spectacle il faut cependant accepter d’être dérangé car les propositions de dSimon auxquelles nous sommes conviés sont parfois loin d’être conventionnelles, encore moins consensuelles…mais pourtant à bien y regarder, un reflet de l’humanité.
Marie Pierre H.