J'ai si peu parlé ma propre langue
J'ai si peu parlé ma propre langue

Un spectacle produit par la Compagnie l’Esprit de la Forge (02) et vu le 25 janvier au Théâtre de la Reine Blanche (Paris).

 

Texte : écriture collective

 Mise en scène : Agnès Renaud

Comédiennes : Marion Duphil-Barché, Pauline Méreuze, Diane Regneault, Flore Taguiev et la voix de Jeannine Renaud.

Genre : Théâtre

Public : Tout public

Durée : 1h10

 

C’est en potassant les différents programmes de la saison que j’ai repéré « j’ai si peu parlé ma propre langue ». Le synopsis m’a interpellé ; la représentation m’a convaincue.

 

« J’ai si peu parlé ma propre langue » se présente de prime abord, par la voix off qui ouvre le spectacle, comme la quête d’une fille auprès de sa mère pour connaître ce qu’elle a toujours tu : ses 55 ans passés en Algérie depuis sa naissance jusqu’à son rapatriement. Si le spectacle entend bien faire découvrir la complexité du parcours des pieds noirs mais aussi de l’émancipation féminine, le substrat biographique est partiellement fictionnel. Cette ambiguïté, qui est l’une des richesses du spectacle, permet simplement d’incarner ces thématiques à travers la figure éponyme de Carmen Sintès. Nous assistons donc à une retransmission en direct depuis Radio Amicale du Soleil, « la radio de tous les rapatriés d’Algérie », à l’émission en forme d’hommage qu’elle lui consacre.

Le décor reconstitue un studio radio modeste : une table basse centrale avec micro pour les deux animatrices (Mathilde et Rosa) ; en avant scène, à cour et à jardin, deux espaces pour recevoir les invités (fauteuil et pupitre pour la fringante Jeannine et pour l’écrivaine Angèle Dériaut) ; en fond de scène deux tours calfeutrées qui suggèrent l’entrée du studio.

Tous les ressorts de l’émission radio sont convoqués depuis les jingles, jusqu’à la musique d’atmosphère (du oud) en passant par les archives radiophoniques, les jeux et autres divertissements. La chanson interprétée en direct et la séance de fitness au cerceau sont l’occasion de superbes prestations de la part des comédiennes.

Elles sont quatre sur scène et endossent chacune - au-delà de leur rôle principal - plusieurs personnages. Elles excellent tant dans les moments graves que dans les scènes plus comiques. Parler de l’Algérie est forcément passionnel. Inutile de dire que l’émission part régulièrement en vrille mais qu’elle ne perd jamais son propos : une guerre inévitable entre deux communautés inégales et qui s’ignorent, un déracinement d’autant plus traumatisant  que l’accueil en France a été d’une rare violence, l’indépendance d’un pays qui fait écho à l’indépendance naissante des femmes.

Le spectacle est rythmé et ne lésine pas sur le spectaculaire pour faire ressentir l’expressivité du Sud : la voix gouailleuse de Jeannine d’abord, les fumigènes pour accueillir De Gaulle ensuite, la nostalgie des bons petits plats et qui vire à la fête. Cette générosité est parfois un peu confuse mais ce n’est que le revers d’une qualité : transmettre une mémoire.

 

« J’ai si peu parlé ma propre langue » est un spectacle engagé par les thèmes abordés, authentique et sincère dans le jeu, et terriblement théâtral au sens noble du terme.

 

Catherine Wolff

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