Dans ton coeur
26 avr. 2024Un spectacle produit par l’Association Akoreacro (18) et vu au Théâtre du Rond Point le 25 avril 2024.
Mise en scène: Pierre Guillois
Circassiens : Manon Rouillard, Romain Vigier, MaximeSolé, Basile Narcy, Maxime La Sala,Antonio Segura Lizan, Pédro Consciência ou Tom Bryas, Joan Ramon Graelle Gabriel
Musiciens : Stephen Harrison, Gaël Guelat, Robin Mora, Johann, Chauveau
Costumes et accessoires : Elsa Bourdin
Scénographie circassienne : Jani Nuutinene/circo Aero
Lumière et régie : Manu Jarousse
Genre: cirque contemporain.
Public : Tout public
Durée : 1H10
Après le déjanté « le gros, la vache et le mainate » et l’incroyable « les gros patinent bien », le nouvel opus de Pierre Guillois s’imposait. Associé à la compagnie circassienne Akoreacro, il livre un spectacle (qui date déjà de 2018) époustouflant.
L’histoire est d’une banalité confondante. Dans un quartier neuf de banlieue, un homme et une femme se rencontrent à l’usine. Ils fondent une famille. La lourdeur du quotidien use le couple. Pour se rabibocher, ils passent une soirée en amoureux au cabaret. La sortie est un fiasco retentissant. Madame et Monsieur se foutent allègrement sur la gueule. Expulsé du domicile familial, Monsieur fréquente la diva trans. du cabaret. Madame n’est pas en reste. Jusqu’à la réconciliation finale.
Un grand classique donc. Mais la narration ! Sublimée par la magie du cirque, de la musique, du jeu et d’un décor aussi économe qu’astucieux.
La base du décor est composée de panneaux recouverts de tissu translucide et qui représentent des façades. Les panneaux du fond de scène, très hauts, sont fixes et accueilleront les 4 principaux musiciens (batterie, saxo et flûte, clavier, guitare et contrebasse). Les panneaux d’avant scène sont mobiles et dessinent, selon leur juxtaposition, des rues ou un castelet géant. Nos deux protagonistes, telles des marionnettes sont manipulés par 5 porteurs. C’est l’incroyable scène de l’usine qui n’est pas sans rappeler « les temps modernes » et celle de la dispute homérique. Mais les panneaux peuvent aussi dessiner les murs du logis. Il suffit de rajouter l’électroménager et, sous forme de feuilles de papier, le carrelage et nous assistons - décor compris- à l’agrandissement de la famille. Madame, multitâches comme il se doit, vaque d’une occupation à l’autre dans l’envolée de ses 5 porteurs. Les jours défilent, se terminant chacun par le rituel du bisou au retour de Monsieur.
La seconde partie, celle du flottement du couple, donne à voir des tableaux moins collectifs sauf quand Madame, tout de rouge vêtue se retrouve, de façon récurrente, harcelée dans la rue par les méchants loubards en noir. Il faut dire que sur scène, Manon Rouillard est la seule femme parmi 11 messieurs : un vrai petit chaperon rouge ! Dans la rue, elle rencontre un virtuose de la roue cyr. A la piscine, alors qu’elle prend son bain à une hauteur vertigineuse, elle assiste au cours de natation en équilibre sur trapèze Washington. Parallèlement, Monsieur s’envoie en l’air avec la diva trans. du haut d’un trapèze fixe. Les numéros de cirque sont d’autant plus magnifiques qu’ils sont parfaitement synchrones avec la musique.
La force de ce spectacle tient à la qualité du moindre détail. Rien n’est laissé au hasard. Les transitions nécessaires à l’installation des agrès sont occupées par des intermèdes clownesques ou musicaux qui s’inscrivent parfaitement dans l’histoire. Il n’est pas un geste, même dans celui qui consiste à parer son partenaire, qui ne soit chorégraphié. Les détails croustillants pullulent comme cette lumière en haut du trapèze fixe et qui s’éteint au moment où les ébats suspendus seraient susceptibles de heurter le jeune public.
« Dans ton cœur » est un spectacle complet, merveilleux et d’une grande générosité. D’ailleurs les excellents musiciens font un bœuf au bar du théâtre à l’issue de la représentation. Quand l’univers de Ribes (Pierre Gallois) rencontrent l’univers de la nouvelle direction (ex-Monfort et donc très circassienne), cela donne un spectacle inoubliable à ne pas rater.
Catherine Wolff